samedi 5 juillet 2008

Ne plus revoir Larnaka

En Mai 2004, Chypre adhérait à l’Union Européenne. L’Europe n’était plus qu’à quelques kilomètres des côtes libanaises.

Les agences de voyage, à l’approche de l’été, affichaient leurs nouvelles promotions de voyage à destination de l’île. Les Européens semblaient découvrir l’existence de celle-ci pour la première fois.

Mes amis français prévoyaient d’y passer une partie de leurs vacances d’été. J’en étais désolé d’avance pour eux...

Pendant la guerre, Chypre était pour beaucoup de Libanais de la diaspora un point de transit avant de pouvoir rejoindre par voie maritime leur pays d’origine secoué par la guerre. L’aéroport étant soit fermé, soit en zone de conflit, prendre le ferry était devenu le moyen le plus sûr... à quelques exceptions près biensûr.

Les familles arrivaient par avion à Larnaka. Elles passaient la journée à tuer le temps, en proie à l’ennui et à la chaleur de l’été, dans l’attente d’embarquer à bord d’un bateau.

Ennui, attente et chaleur... Parfois nous séjournions une ou deux nuits dans un hôtel de la ville. Nous étions devenus des habitués du « Four Lanterns Hotel » au point d’en faire nous même la promotion auprès de nos compatriotes en quête d’un gîte avant la traversée. Les chambres étaient correctes, et à défaut d’y trouver un téléviseur diffusant de toute manière des programmes en grec, il y avait des radios qui captaient parfois quelque station libanaise. Toujours la radio.

Nous nous mettions en route pour le port de Larnaka à la tombée du soir. Les voyageurs attendaient sur le quai qu’un douanier Chypriote nous ordonne en grec l’ordre d’embarquer à bord du « Sun Boat ». Parfois, quelques Casques Bleus étaient du voyage. Ces militaires observaient d’un œil amusé le voyage désorganisé des Libanais de retour au pays.

J’ai eu le pied marin très tôt.

La traversée durait une douzaine d’heures. Les cabines à couchettes étaient rares ; seuls quelques privilégiés y avaient accès. Certains voyageurs s’occupaient en jouant aux machines à sous du bar-restaurant. D’autres attendaient sur le pont qu’apparaissent les côtes et les montagnes jadis bien plus vertes de Jounieh et de Harissa.

Le « Sun Boat » était une sorte d’échantillon, un condensé de la société libanaise. Les émigrés revenaient d’Europe, d’Afrique ou des Amériques ; de France, du Sénégal ou des Etats-Unis. Certains arrivaient de contrées très lointaines. Qu’il est impossible de couper le cordon, malgré les complications du voyage et l'absurdité.

Certains revenaient dans l’espoir de monter une affaire au gré des accalmies périodiques ; d’autres espéraient passer des vacances calmes au sein de leurs familles. Fils prodiges et grands-pères nostalgiques s’y retrouvaient. Les voyageurs se parlaient et se racontaient des histoires et leurs expériences, ils sympathisaient et faisaient connaissance. Nous retrouvions parfois même des amis.

L’inquiétude et la fatigue se lisaient sur les traits des passagers. Nous ressentions néanmoins à chaque traversée une petite excitation à l’idée de voir le pays à l’Aube, ses montagnes et ses côtes ; nos montagnes et nos côtes.

Je m’endormais très souvent dans les bras de mes parents ou de mes sœurs.

Vers 5 heures du matin, nous étions au large de Jounieh. Nous apercevions au loin les tuiles rouges des maisons libanaises en pierre de taille.
Tout le monde était sur le pont. Je me réveillais lentement, au doux parfum du pays retrouvé.

Au fur et à mesure que le bateau s’approchait, l’on distinguait sur le quai la foule des badauds et des familles venues accueillir leurs proches que la guerre avait éloignée.

Le bruit d’une agréable cohue parvenait à nos oreilles.

Enfin, les « vacances » commençaient. Je ne voulais plus songer à Chypre, au retour, à l’angoisse d’une traversée. Je ne voulais plus revoir Larnaka. Aujourd’hui encore.