jeudi 28 août 2008

A.I.B. – Arrivée

Avant que l’aéroport de Beyrouth ne s’appelle « Aéroport Rafik Hariri », il s’appelait simplement « Aéroport International de Beyrouth » et avait beaucoup plus des allures de supermarché poussiéreux. Il avait en revanche plus d’âme, derrière ses façades couleur saumon, que le marbre gris de notre aéroport flambant neuf actuel…

Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’il avait fait son temps. Si à l’époque – c’est-à-dire les années 50 – il était considéré comme un fleuron architectural au Moyen-Orient, il n’était plus aux normes après 1990 et sans doute trop petit pour accueillir les Libanais de l’étranger, à défaut de touristes.



La compagnie aérienne nationale, la M.E.A., n’avait jamais cessé ses activités même au plus fort de la guerre, à quelques exceptions près. Sitôt la paix revenue, leurs avions se posaient déversant par centaines les Libanais venus d’Outre Mer.

Le voyage commençait, comme toujours, dès l’enregistrement des bagages dans le pays de départ. Des files d’attentes aussi bruyantes que désorganisées se formaient face aux comptoirs de la M.E.A., derrière lesquels les hôtesses, portant jadis des uniformes rayés de bleu, de vert, de rouge et de blanc, mâchaient ostensiblement leur chewing-gum. Aussitôt les formalités faites, les scandales en raison d’un surbooking ou d’une annulation passés et le passage à la douane effectué, nous embarquions à bord des Boeing à nez noirs de la M.E.A. et dont les sièges de couleur marron et orange rappelaient les seventies.

Il était encore possible de fumer dans la cabine. Seules quelques rangées à l’avant ou à l’arrière de l’appareil étaient destinées aux voyageurs non fumeurs, ce qui n’empêchât nullement la fumée de se répandre dans toute la cabine. Après trois ou quatre heures de vol, l’hôtesse annonçait notre atterrissage imminent et quelques minutes plus tard, le Boeing se posait sur le tarmac de l’Aéroport International de Beyrouth. Après nous avoir communiqué la température extérieure en « centigrades » notre hôtesse nous remerciera d’avoir choisi la compagnie nationale et nous souhaitera un agréable séjour… tout cela en langues arabe, française et anglaise.

Les voyageurs étaient tous gagnés par l’excitation et tout le monde se congratulait.

Les « hamdellah 3a salémé » fusaient de partout et nous attendions de sortir de l’avion.

Ses portes s’ouvrirent enfin.

Le bruit assourdissant des réacteurs n’empêchera pas l’odeur si particulière du pays de me taquiner les narines. Nous descendons joyeux les escaliers d’embarquement afin de prendre le bus nous menant au terminal des arrivées. En pénétrant dans celui-ci, nous entendons le bruit presque mécanique des tampons de la Sûreté Générale s’abattant sur les passeports.

Des portraits géants du président Syrien Hafez el-Assad ou de son fils décédé et des drapeaux syriens de papier ornent les murs poussiéreux de l’aéroport. Ceux du président Libanais, Elias Hraoui se font plus discrets, à l’image du charisme quasi-nul du personnage. L’humiliation se lit dans le regard des voyageurs exilés fraîchement arrivés, dans nos regards à tous.


Nous ne bronchons pas, nous ignorons, nous méprisons. Nous sommes bel et bien à Beyrouth et non à Damas… nous arriverons désormais en terre occupée.

Les douaniers contrôlent et tamponnent nonchalamment nos passeports avant de nous laisser récupérer nos bagages qui se font attendre sur un tapis immobile. Il fait une chaleur suffocante et les ventilateurs semblent ne plus avoir fonctionné depuis des décennies.


Nos proches se tiennent derrière un mur de verre et nous font de grands signes et de grands sourires. L’éloignement aura duré un an, parfois plus longtemps au gré des évènements qui secouaient le pays. Mes sœurs, mon frère et moi avions grandi ; nos grands-parents, oncles et tantes avaient de plus en plus de mèches blanches. Les vacances scolaires sont l’occasion de rattraper un peu du temps perdu.

Le tapis à bagages s’ébranle et les premières valises arrivent enfin. Les valises de voyageurs en provenance d’autres pays se retrouvent toutes sur le même tapis. Cela devient très vite la bousculade à cause notamment des porteurs essayant d’agripper un potentiel client.

Les bagages récupérés, nous nous dirigeons vers le dernier contrôle de l’aéroport, celui des redoutés moukhabarat (services de renseignement) syriens, mal rasés, en civil mais portant des chemises de mauvais goût et kalachnikov en bandoulière… même si nous n’avons rien a nous reprocher, nous retenons notre souffle sous le regard du Lion.

« Vous arrivez d’où ? » demande l’un des moukhabarat, un sourire cynique aux lèvres.

Mon père lui répond sèchement. Le moukhabarat rend nos passeports sans un mot, sans un regard mais avec un insolent mouvement de la tête. Nous passons ce dernier barrage en remarquant un jeune se faisant interroger à l’abri des regards.

Nous sortons enfin de l’aéroport, retrouvons nos proches et chargeons les voitures de mon oncle et de ma grand-mère. Le trajet ne fait que commencer. Il nous faut emprunter l’ancienne route de l’aéroport traversant la banlieue sud de Beyrouth où trônent cette fois des portraits de Khomeiny, de l’Imam Moussa Sadr ou de martyrs anonymes. Des barrages de l’armée libanaise ou syrienne contrôlent les automobilistes toutes les centaines de mètres ralentissant par conséquent leur progression. La reconstruction en était encore à ses balbutiements si bien que les routes étaient à l’époque dans un piteux état.

La forêt de pins n’a de forêt que le nom et les immeubles à la lisière de l'ancienne "ligne verte" sont sévèrement touchés. Quelques habitants vivaient encore dans ces ruines, sans électricité, sans eau et se fondant dans le décor lugubre. Des enfants de mon âge en petite culotte. Des mendiants estropiés aux carrefours. La ville et ses habitants portaient encore les lourds stigmates des combats. Nos Misérables.

Nous rentrons enfin dans Beyrouth. L’odeur du thym et du café y embaume ses rues. J’adore. C’est toujours la même odeur. Celle-ci ne peut disparaître.

La reconstruction commencera bientôt. Celle des villes, du pays tout entier. Peut-être même celle des consciences ?

Elle signifiera également destruction : destruction de vestiges irrécupérables ; destruction d’une partie de la mémoire de Beyrouth.


Destruction des murs d’un aéroport longtemps souillés par les photos humiliantes de dictateurs étrangers. Destruction afin que nous oubliions l’humiliation d’un exil, ou celle d’un retour sous le regard de l’occupant.

S’il faut y passer par là, alors soit. Abattons ces murs et leurs ornements.

lundi 18 août 2008

Le Train Orange

(Dédicace aux Chroniqueurs Beyrouthins, David & Nat)



Il y a quelques jours, j'ai pris le train à Antibes pour me rendre à Marseille. Le train longe pendant près de deux heures la côte, se faufilant entre les forêts de pins et les vignes, entre maisons provençales aux tuiles rouges et plages méditerranéennes de galets ou de sable blanc.

L’accent chantonnant des voyageurs Niçois ou Marseillais se mêlaient aux paysages défilant sous mes yeux. Alors que le train s’arrêtait à Saint-Raphaël, Sainte-Maxime ou Cannes, je songeais aux côtes libanaises, jadis étrangères au béton et plus proche de la Provence que de Benidorm. Au Liban, quelques chemins de fers traversaient – et traversent encore – des routes similaires longeant les plages et contournant les montagnes. Car en effet, il existait auparavant des trains et des tramways.

En écoutant les récits de mes parents ou de mes aînés, il ressort que ce moyen de transport était populaire auprès des usagers et largement utilisé par les citadins. Avec la guerre, locomotives et wagons ont peu à peu disparu, leurs carcasses venant occuper les rares gares désaffectées à l’abri des regards et en proie à la rouille ou aux graffitis.

Toutefois, lorsque nous « estivions », j’étais témoin chaque jour d’un curieux spectacle.

Mais, avant d’y assister, j’étais chargé tous les matins d’une mission : celle de rapporter des manouchés, ces galettes de thym ou de fromage, du boulanger installé en bordure du lotissement dans le lequel nous passions l’été.

« Bonjour ! lui disais­-je » ; « Bonjourein, me répondait-il » . Je lui demandais ensuite poliment dans un arabe approximatif une douzaine de ces manouchés puis attendais à l’ombre d’un bananier qu’elles sortent du four.

Aussitôt prêtes, je m’empressais de payer le boulanger et remontais rapidement chez moi non pour dévorer ces délicieuses galettes mais pour assister au passage imminent du train orange. Ce train orange ne passait qu’une seule fois par jour et devait certainement être l’un des derniers à rouler au Liban. Il ne comptait qu’une locomotive et un wagon transportant les voyageurs. Ne voulant jamais le rater, je me postais à la fenêtre et guettais son arrivée.

Le train siffle… le voilà enfin!

Il jaillissait lentement d’entre les arbres, coupait la route menant à l’entrée de Tabarja Beach et s’arrêtait enfin pour ramasser deux ou trois voyageurs réfugiés sous un préau de fortune. Quelques minutes plus tard et après un dernier sifflement, le train orange repartait aussi lentement qu’il était arrivé vers sa destination non lointaine.

Ma manouché avait refroidi mais je la mangeais en songeant à ce tas de ferraille et d’acier parcourant les côtes et les montagnes. Arrivait-il de Tripoli ou d’Istanbul ? Peut-être allait-il à Haïfa ou Damas? S’arrêtera-t-il à Beyrouth ?
Je me surprenais à lui inventer des périples et des trajets, des déraillements façon western et des poinçonneurs moustachus à tarbouche, des banquettes en bois et des compartiments plus confortables, des voyageurs bruyants et des ouvriers se rendant au travail.

Ce train orange suscitait une curiosité telle que j’étais décidé à le voir de plus près.

Mais il était déjà trop tard : le train orange cessa de passer et je n’entendis plus jamais son sifflement. Aux abords de la gare abandonnée de Jounieh, qui était vraisemblablement sa destination, ne sont stationnés que de vieux wagons à bestiaux et de marchandises, immobilisés par le temps et la rouille.

Plus de traces du train orange de mon enfance.

Néanmoins, sa disparition me laissera enfin savourer des manouchés encore chaudes au petit-déjeuner.

vendredi 15 août 2008

Larnaka - II


Il semble que mes parents voyagent encore avec la même valise...