mardi 30 décembre 2008
Leçon de franbanais - ou choses et d'autres entendues ou dites
"Hi! Kifak? Ca va?"... ai-je le choix de la langue?
"Un pepsi s'il vous plait" - "Avec un chalumeau?"... mmm, non, simplement un verre.
"yiii, comme tu as grossi"... euh, merci.
"Tu te payes de ma tête?"
"On quitte dans cinq minutes."
"Je rentre sous la douche."
"Je vais au salon de coiffure pour un coup de peigne."
"Joyeux Noël!"- "Pareillement"
"L'été, je monte estiver à Baabdate"... je veux juste signaler que le terme "estiver" signifie mettre les bêtes pendant l'été dans un pâturage... si, si...
"Tu conduis vitesse ou automatique?"
"Bienvenue à Beyrouth, la température extérieure est 28 centigrades"... et en Celsius?
lundi 29 décembre 2008
Il est cinq heures
Last Day
samedi 27 décembre 2008
Just Walk
Les trottoirs de Beyrouth sont certes assez étroits ou parfois inexistants et, bien entendu, les larges trottoirs sont réservés aux 4x4.
Mais rien de mieux qu'un petit "mouchoir" (promenade) dans les rues de Beyrouth pour s'apercevoir de la menace qui pèse sur cette ville. On en ressort parfois plus énervé qu'oxygéné par ce que l'on voit.
Le Beyrouthin "homo automobilis" semble s'en taper, il ne regarde plus tellement sa ville. Il ne prend plus la peine de marcher pour la (re)découvrir. Les belles vieilles demeures disparaissent une à une sans qu'il ne s'en émeuve puisqu'elles ne sont sans doute pas sur son trajet.
La protection du patrimoine ou de l'environnement n'est pas une priorité. En ce moment, c'est plutôt les cadeaux de Noël ou les discussions politiques futiles... et puis après on verra ce qu'il en reste pour commencer à s'alarmer.
mercredi 24 décembre 2008
Joyeux Pareillement!
- Pareillement!
Drôle d'expression. Il parait que cela se dit également en Belgique entre deux Duvels.
D'autres leçons de franbanais du moment suivront...
mardi 23 décembre 2008
Prison Break
Une heure après le départ - donc aux alentours du Forum de Beyrouth, environ 1 km à vol d'oiseau de chez moi - nous réalisions notre erreur.
L'excursion est vite devenue une expédition: embouteillage, pollution, camions sauvages, embouteillages, travaux, pluie, EMBOUTEILLAGES...
A l'arrivée, les éléments se sont déchainés sur nos gueules.
Beyrouth n'allait pas nous laisser fuir comme ça... la salope!
lundi 22 décembre 2008
vroum vroum
Christmas Hits 1985 Compilation
dimanche 21 décembre 2008
On the other side
On dirait que deux ou trois peuples différents se croisent, se jaugent et s'observent. On entend parler Arabe, Anglais et Français dans le terminal d'arrivée. Des familles entières viennent accueillir leurs proches de retour au pays.
samedi 20 décembre 2008
Observation n°1
Boieng 777-340 archi plein et légèrement botoxé.
Aux douanes, je trouve toujours le moyen de choisir la file d'attente la plus lente.
J'observe la ligne jaune et ceux qui ne la respectent pas. Je suis dans la file des "étrangers". A la voir, on croirait que le Liban est devenue la destination à la mode des vacances de fin d'année, au même titre que des destinations paradisiaques de l'hémisphère sud.
Pourtant, les touristes sont Libanais.
Je sors et sens une cinquantaine de paire d'yeux me scruter de la tête au pied. Etrange sensation.
Malgré la marée humaine, je distingue rapidement mes parents venus me chercher.
Un bordel agréable en guise de bienvenue et sur le trottoir les premières odeurs.
Live from Beyrouth
Aussi bizarre que cela puisse paraitre, je ne suis pas dans le souvenir mais dans le présent. Et j'observe; ce qui a changé, ce qui ne changera jamais.
Un des meilleurs endroits pour observer: mon balcon; je peux y passer des heures. Il y a près de vingt degrés de différence avec Paris et il n'est pas nécessaire de "couvrir sur sa poitrine..."
Dans les prochains jours, je posterai des impressions plus ou moins courtes plutôt que de longs récits. En effet, je suis tellement au coeur d'un certain chaos que je ne puis prendre suffisamment de recul.
Cela fait du bien, un peu d'air frais et une manouché le matin...
dimanche 9 novembre 2008
L'épée de Farraj
Ces obligations duraient le temps d'une matinée, d'une après-midi ou d'une journée entière. Nous allions visiter des cousins de degrés lointains dont on se souvenait vaguement du nom ou des arrière-grands-oncles dans un village reculé de la Montagne.
Certaines de ces journées étaient ennuyeuses pour l'enfant que j'étais, voire même pour les adultes quelquefois. D'autres journées néanmoins m'ont profondément marquées.
"Si tu es sage, me disais ma mère, il te montrera son épée." Je n’étais pas un enfant particulièrement dissipé, ni même franchement turbulent. Disons que ma mère avait trouvé une motivation à l’une de ces visites familiales.
Il s'agissait de Jeddo Farraj, mon arrière-grand-père maternel.
Avant ce fameux jour, je ne le connaissais qu'au travers de photographies en noir et blanc chez mes grands-parents. Il y est en costume d'apparat, portant un uniforme et une épée.
Farraj n'était pas un militaire mais un proche du Cardinal Gabriel Tappouni, archevêque d'Alep devenu plus tard patriarche de l'Eglise catholique syriaque. Il était en quelque sorte le bras droit de ce dernier et son homme de confiance ainsi que Chevalier de l'Ordre de Malte.
Ma mère m'expliquait donc que j'allais rencontrer un chevalier!
Farraj habitait dans le secteur du Musée de Beyrouth. Malgré la guerre et la proximité de la "Ligne Verte", jamais il n'accepta de partir. Sans doute en avait-il vu d'autres.
"C'est mon petit dernier, Jeddo" dit ma mère à son grand-père quand vint le tour de me présenter après mon frère et mes soeurs.
La famille maternelle était présente ce jour-là. Les meubles du salon étaient beaux et anciens. Quelques décorations de Farraj ornaient les murs de l'appartement, ainsi que des portraits.
Nous buvions de rafraîchissants Jellab et je dégustais pour la première fois des marzipans.
Il était assis dans un fauteuil et un sourire illuminait son beau visage; celui des personnes âgées ravies d'être entourées par les siens et sa descendance.
Il était néanmoins bien fatigué.
"Habibi, il te montrera son épée une prochaine fois" me dit ma mère. J'avais été pourtant bien sage...
Mon arrière-grand-père avait fui les massacres des chrétiens de Mardin, dans le Sud-est de l'Anatolie. En 1915, l'Empire Ottoman décida de déporter et massacrer les Arméniens et les hommes d'autres minorités chrétiennes de rite chaldéen, syriaque ou protestant. Les hommes étant principalement menacés, il réussit à s'enfuir à dos de chameau déguisé en femme jusqu'en Syrie et s'établit plus tard au Liban.
Au cours de cette après-midi, Jeddo Farraj s'éclipsa un court instant. Puis il revint, se plaça au centre de la pièce pour être entouré de tous les convives et brandit enfin son épée sous les applaudissements.
Il y avait dans son regard une intensité et du courage. Il puisa dans ses forces pour lever le lourd sabre au dessus de sa tête.
Je me souviendrai toujours de son regard. Certes, j’étais beaucoup trop petit pour lui parler ou comprendre certaines choses. Je souhaitais simplement qu’il me raconte des histoires de chevalier ou qu’il me laisse jouer avec son épée. Je revois toutefois encore son regard et cette intensité que je ne pouvais expliquer du haut de mes cinq ans.
Les mois passèrent, quelques années peut-être. Je demandais innocemment à ma mère qu'était devenu Jeddo Farraj et s’il se portait bien. Elle m'annonça très surprise qu'il nous avait quitté et qu'il reposait désormais en paix.
La nouvelle me secoua et j'en voulus à mes parents de me l'avoir caché. Sans doute avaient-ils pensé que je ne me souviendrais plus de lui, vu mon très jeune âge et le sien très avancé.
Il me laissa très vite un souvenir indélébile, même si je n’étais pas encore en âge de comprendre l’héritage de cet homme.
Celui d’un véritable Levantin au destin formidable, témoin de l’histoire tourmentée de cette partie du monde au début du siècle dernier ; témoin de la folie des hommes à la fin de celui-ci.
Celui d’un Levantin à un autre.
dimanche 26 octobre 2008
Salle Obscure
mercredi 8 octobre 2008
Les Grandes Vacances
dimanche 14 septembre 2008
Parfois, j'en souris; parfois ça m'énerve...
Le Liban vaut largement l'Europe et la France"
"Yaaay, tu as vu? ils vont construire un nouvel immeuble de 30 étages avec un appartement de luxe par étage. C'est bien non?"
"Te promener? Tu veux dire à pieds? Tayyeb pourquoi?"
"Enta, tu ne peux pas comprendre, tu n'as pas vécu la guerre."
"Enta, tu ne peux pas parler, tu ne vis plus ici."
"Carlos Ghosn, Mika, Nicolas Hayek sont Libanais! J'en suis tellement fier..."
"Non je ne suis jamais allé au Musée de Beyrouth."
"Tu sais au Liban, tu peux skier le matin et te baigner dans l'après-midi."
"Fi hajez (vous avez réservé)."
"Ah bon? Ton coiffeur est à Hamra?"
"Jounieh est la plus belle baie du monde."
"La qualité de vie au Liban est inégalable. Tu peux appeler le dekkène à 3 heures du mat pour qu'il te monte un pepsi."
"Viens, on va voir Batman 26 au ciné."
"Ce sont tous des salauds... bass franchement, tu ne le trouves pas drôle Wihab Diab?"
"C'est quoi un platane?"
"D'accord ce sont des salauds, mais qui a été salaud en premier?"
"Pourquoi tu mets ta ceinture de sécurité?"
"J'espère qu'il n'y aura pas de guerre pour que je puisse passer mes vacances à la plage cet été."
"J'ai filé 100 dollars au mec de l'auto-école pour être sûr d'avoir mon permis de conduire."
"Il n'y a pas assez de boîtes de nuit à Beyrouth."
"Il y a une pénurie de logement à Beyrouth et pas assez d'immeubles."
"Grâce à Solémar, Samaya, Portemilio et le Holiday Beach Club, nos plages sont plus belles et plus propres."
"Tu ne peux plus marcher à Beyrouth, c'est pour ça que je préfère prendre la voiture."
"On s'est promené à Solidere; il y a vraiment trop d'Arabes."
"C'est injuste, regarde où sont rendus ces bédouins du Golfe et où nous en sommes! C'est nous qui devrions être à la place de Dubai!"
"Nous aussi nous avons la Nouvelle Star, la StarAc et KohLanta."
"NOUVEAU!!! BETON-SUR-MER!!! UN COMPLEXE ULTRA MODERNE ET LUXUEUX AU MILIEU DES RESTES D'UNE FORET DE PINS APPAISANTE ET VERDOYANTE! APPELEZ LE 03-£$€ £$€
"Ah bon? tu as déjà pris le bus? Mais ils sont faits pour les ouvriers syriens et les indiens."
"Geryos Taxi, c'est plus claaaasse."
"Le Liban est le plus beau pays du monde."
jeudi 11 septembre 2008
The New Government
mercredi 10 septembre 2008
Can we blame them?
lundi 1 septembre 2008
Le Train Orange II
jeudi 28 août 2008
A.I.B. – Arrivée
Quoi qu’il en soit, il est vrai qu’il avait fait son temps. Si à l’époque – c’est-à-dire les années 50 – il était considéré comme un fleuron architectural au Moyen-Orient, il n’était plus aux normes après 1990 et sans doute trop petit pour accueillir les Libanais de l’étranger, à défaut de touristes.
Le voyage commençait, comme toujours, dès l’enregistrement des bagages dans le pays de départ. Des files d’attentes aussi bruyantes que désorganisées se formaient face aux comptoirs de la M.E.A., derrière lesquels les hôtesses, portant jadis des uniformes rayés de bleu, de vert, de rouge et de blanc, mâchaient ostensiblement leur chewing-gum. Aussitôt les formalités faites, les scandales en raison d’un surbooking ou d’une annulation passés et le passage à la douane effectué, nous embarquions à bord des Boeing à nez noirs de la M.E.A. et dont les sièges de couleur marron et orange rappelaient les seventies.
Il était encore possible de fumer dans la cabine. Seules quelques rangées à l’avant ou à l’arrière de l’appareil étaient destinées aux voyageurs non fumeurs, ce qui n’empêchât nullement la fumée de se répandre dans toute la cabine. Après trois ou quatre heures de vol, l’hôtesse annonçait notre atterrissage imminent et quelques minutes plus tard, le Boeing se posait sur le tarmac de l’Aéroport International de Beyrouth. Après nous avoir communiqué la température extérieure en « centigrades » notre hôtesse nous remerciera d’avoir choisi la compagnie nationale et nous souhaitera un agréable séjour… tout cela en langues arabe, française et anglaise.
Les voyageurs étaient tous gagnés par l’excitation et tout le monde se congratulait.
Ses portes s’ouvrirent enfin.
Le bruit assourdissant des réacteurs n’empêchera pas l’odeur si particulière du pays de me taquiner les narines. Nous descendons joyeux les escaliers d’embarquement afin de prendre le bus nous menant au terminal des arrivées. En pénétrant dans celui-ci, nous entendons le bruit presque mécanique des tampons de la Sûreté Générale s’abattant sur les passeports.
Des portraits géants du président Syrien Hafez el-Assad ou de son fils décédé et des drapeaux syriens de papier ornent les murs poussiéreux de l’aéroport. Ceux du président Libanais, Elias Hraoui se font plus discrets, à l’image du charisme quasi-nul du personnage. L’humiliation se lit dans le regard des voyageurs exilés fraîchement arrivés, dans nos regards à tous.
Les douaniers contrôlent et tamponnent nonchalamment nos passeports avant de nous laisser récupérer nos bagages qui se font attendre sur un tapis immobile. Il fait une chaleur suffocante et les ventilateurs semblent ne plus avoir fonctionné depuis des décennies.
Le tapis à bagages s’ébranle et les premières valises arrivent enfin. Les valises de voyageurs en provenance d’autres pays se retrouvent toutes sur le même tapis. Cela devient très vite la bousculade à cause notamment des porteurs essayant d’agripper un potentiel client.
Les bagages récupérés, nous nous dirigeons vers le dernier contrôle de l’aéroport, celui des redoutés moukhabarat (services de renseignement) syriens, mal rasés, en civil mais portant des chemises de mauvais goût et kalachnikov en bandoulière… même si nous n’avons rien a nous reprocher, nous retenons notre souffle sous le regard du Lion.
« Vous arrivez d’où ? » demande l’un des moukhabarat, un sourire cynique aux lèvres.
Mon père lui répond sèchement. Le moukhabarat rend nos passeports sans un mot, sans un regard mais avec un insolent mouvement de la tête. Nous passons ce dernier barrage en remarquant un jeune se faisant interroger à l’abri des regards.
Nous sortons enfin de l’aéroport, retrouvons nos proches et chargeons les voitures de mon oncle et de ma grand-mère. Le trajet ne fait que commencer. Il nous faut emprunter l’ancienne route de l’aéroport traversant la banlieue sud de Beyrouth où trônent cette fois des portraits de Khomeiny, de l’Imam Moussa Sadr ou de martyrs anonymes. Des barrages de l’armée libanaise ou syrienne contrôlent les automobilistes toutes les centaines de mètres ralentissant par conséquent leur progression. La reconstruction en était encore à ses balbutiements si bien que les routes étaient à l’époque dans un piteux état.
La forêt de pins n’a de forêt que le nom et les immeubles à la lisière de l'ancienne "ligne verte" sont sévèrement touchés. Quelques habitants vivaient encore dans ces ruines, sans électricité, sans eau et se fondant dans le décor lugubre. Des enfants de mon âge en petite culotte. Des mendiants estropiés aux carrefours. La ville et ses habitants portaient encore les lourds stigmates des combats. Nos Misérables.
Nous rentrons enfin dans Beyrouth. L’odeur du thym et du café y embaume ses rues. J’adore. C’est toujours la même odeur. Celle-ci ne peut disparaître.
La reconstruction commencera bientôt. Celle des villes, du pays tout entier. Peut-être même celle des consciences ?
Elle signifiera également destruction : destruction de vestiges irrécupérables ; destruction d’une partie de la mémoire de Beyrouth.
Destruction des murs d’un aéroport longtemps souillés par les photos humiliantes de dictateurs étrangers. Destruction afin que nous oubliions l’humiliation d’un exil, ou celle d’un retour sous le regard de l’occupant.
S’il faut y passer par là, alors soit. Abattons ces murs et leurs ornements.
lundi 18 août 2008
Le Train Orange
En écoutant les récits de mes parents ou de mes aînés, il ressort que ce moyen de transport était populaire auprès des usagers et largement utilisé par les citadins. Avec la guerre, locomotives et wagons ont peu à peu disparu, leurs carcasses venant occuper les rares gares désaffectées à l’abri des regards et en proie à la rouille ou aux graffitis.
Toutefois, lorsque nous « estivions », j’étais témoin chaque jour d’un curieux spectacle.
Mais, avant d’y assister, j’étais chargé tous les matins d’une mission : celle de rapporter des manouchés, ces galettes de thym ou de fromage, du boulanger installé en bordure du lotissement dans le lequel nous passions l’été.
« Bonjour ! lui disais-je » ; « Bonjourein, me répondait-il » . Je lui demandais ensuite poliment dans un arabe approximatif une douzaine de ces manouchés puis attendais à l’ombre d’un bananier qu’elles sortent du four.
Aussitôt prêtes, je m’empressais de payer le boulanger et remontais rapidement chez moi non pour dévorer ces délicieuses galettes mais pour assister au passage imminent du train orange. Ce train orange ne passait qu’une seule fois par jour et devait certainement être l’un des derniers à rouler au Liban. Il ne comptait qu’une locomotive et un wagon transportant les voyageurs. Ne voulant jamais le rater, je me postais à la fenêtre et guettais son arrivée.
Le train siffle… le voilà enfin!
Il jaillissait lentement d’entre les arbres, coupait la route menant à l’entrée de Tabarja Beach et s’arrêtait enfin pour ramasser deux ou trois voyageurs réfugiés sous un préau de fortune. Quelques minutes plus tard et après un dernier sifflement, le train orange repartait aussi lentement qu’il était arrivé vers sa destination non lointaine.
Ma manouché avait refroidi mais je la mangeais en songeant à ce tas de ferraille et d’acier parcourant les côtes et les montagnes. Arrivait-il de Tripoli ou d’Istanbul ? Peut-être allait-il à Haïfa ou Damas? S’arrêtera-t-il à Beyrouth ?
Je me surprenais à lui inventer des périples et des trajets, des déraillements façon western et des poinçonneurs moustachus à tarbouche, des banquettes en bois et des compartiments plus confortables, des voyageurs bruyants et des ouvriers se rendant au travail.
Ce train orange suscitait une curiosité telle que j’étais décidé à le voir de plus près.
Mais il était déjà trop tard : le train orange cessa de passer et je n’entendis plus jamais son sifflement. Aux abords de la gare abandonnée de Jounieh, qui était vraisemblablement sa destination, ne sont stationnés que de vieux wagons à bestiaux et de marchandises, immobilisés par le temps et la rouille.
Plus de traces du train orange de mon enfance.
Néanmoins, sa disparition me laissera enfin savourer des manouchés encore chaudes au petit-déjeuner.
vendredi 15 août 2008
samedi 5 juillet 2008
Ne plus revoir Larnaka
Les agences de voyage, à l’approche de l’été, affichaient leurs nouvelles promotions de voyage à destination de l’île. Les Européens semblaient découvrir l’existence de celle-ci pour la première fois.
Mes amis français prévoyaient d’y passer une partie de leurs vacances d’été. J’en étais désolé d’avance pour eux...
Pendant la guerre, Chypre était pour beaucoup de Libanais de la diaspora un point de transit avant de pouvoir rejoindre par voie maritime leur pays d’origine secoué par la guerre. L’aéroport étant soit fermé, soit en zone de conflit, prendre le ferry était devenu le moyen le plus sûr... à quelques exceptions près biensûr.
Les familles arrivaient par avion à Larnaka. Elles passaient la journée à tuer le temps, en proie à l’ennui et à la chaleur de l’été, dans l’attente d’embarquer à bord d’un bateau.
Ennui, attente et chaleur... Parfois nous séjournions une ou deux nuits dans un hôtel de la ville. Nous étions devenus des habitués du « Four Lanterns Hotel » au point d’en faire nous même la promotion auprès de nos compatriotes en quête d’un gîte avant la traversée. Les chambres étaient correctes, et à défaut d’y trouver un téléviseur diffusant de toute manière des programmes en grec, il y avait des radios qui captaient parfois quelque station libanaise. Toujours la radio.
Nous nous mettions en route pour le port de Larnaka à la tombée du soir. Les voyageurs attendaient sur le quai qu’un douanier Chypriote nous ordonne en grec l’ordre d’embarquer à bord du « Sun Boat ». Parfois, quelques Casques Bleus étaient du voyage. Ces militaires observaient d’un œil amusé le voyage désorganisé des Libanais de retour au pays.
J’ai eu le pied marin très tôt.
La traversée durait une douzaine d’heures. Les cabines à couchettes étaient rares ; seuls quelques privilégiés y avaient accès. Certains voyageurs s’occupaient en jouant aux machines à sous du bar-restaurant. D’autres attendaient sur le pont qu’apparaissent les côtes et les montagnes jadis bien plus vertes de Jounieh et de Harissa.
Le « Sun Boat » était une sorte d’échantillon, un condensé de la société libanaise. Les émigrés revenaient d’Europe, d’Afrique ou des Amériques ; de France, du Sénégal ou des Etats-Unis. Certains arrivaient de contrées très lointaines. Qu’il est impossible de couper le cordon, malgré les complications du voyage et l'absurdité.
Certains revenaient dans l’espoir de monter une affaire au gré des accalmies périodiques ; d’autres espéraient passer des vacances calmes au sein de leurs familles. Fils prodiges et grands-pères nostalgiques s’y retrouvaient. Les voyageurs se parlaient et se racontaient des histoires et leurs expériences, ils sympathisaient et faisaient connaissance. Nous retrouvions parfois même des amis.
L’inquiétude et la fatigue se lisaient sur les traits des passagers. Nous ressentions néanmoins à chaque traversée une petite excitation à l’idée de voir le pays à l’Aube, ses montagnes et ses côtes ; nos montagnes et nos côtes.
Je m’endormais très souvent dans les bras de mes parents ou de mes sœurs.
Vers 5 heures du matin, nous étions au large de Jounieh. Nous apercevions au loin les tuiles rouges des maisons libanaises en pierre de taille.
Tout le monde était sur le pont. Je me réveillais lentement, au doux parfum du pays retrouvé.
Au fur et à mesure que le bateau s’approchait, l’on distinguait sur le quai la foule des badauds et des familles venues accueillir leurs proches que la guerre avait éloignée.
Le bruit d’une agréable cohue parvenait à nos oreilles.
Enfin, les « vacances » commençaient. Je ne voulais plus songer à Chypre, au retour, à l’angoisse d’une traversée. Je ne voulais plus revoir Larnaka. Aujourd’hui encore.
jeudi 19 juin 2008
La tabboulé géante
Un million de Libanais de tous bords s’étaient réunis ce jour-là. Une partie est effectivement venue manifester sa « libanité », son désir de liberté, son ras-le-bol d’un régime inféodé et corrompu, son rejet de l’occupation.
C’était beau, mais ce n’était pas que cela. D’autres compatriotes ce même jour réclamaient peut-être autre chose.
Je me dis qu’en fin de compte, c’était une tabboulé géante ou tout le monde y allait de son slogan et de son ingrédient.
« Rendez-nous le Général, rendez-nous l’embastillé, rendez-nous les barbus, libérez untel… »
En revanche, l’autre tabboulé du 8 Mars était bien plus indigeste et m’était restée sur l’estomac.
« Merci Syrie. Merci d’avoir persécuté, humilié, torturé, exilé, spolié, volé et abruti tout un pays. Merci, on t’kiffe grave, foi de barbu ».
Après la mini-guerre civile de Mai 2008, les chefs de partis, les chefs de clans et de famille, les barbus locaux ont été vite pardonnés sans même avoir demandé pardon. Tout comme à l’issue de la méga-guerre civile.
Bref, au Liban, le pardon se brade.
Nos dirigeants ont fait croire qu’ils s’étaient rabibochés à Doha.
Il n’y a pourtant pas encore de gouvernement. Nos épiciers locaux se disputent portefeuilles et tapis ministériels. « Bassita », le Liban a presque survécu sans Président de la République pendant six mois ; il peut se permettre un vide institutionnel de plus jusqu’aux prochaines législatives… chiche !
Pourtant, la Bekaa s’enflamme. Les tensions sont confessionnelles. Calottes et turbans s’en mêlent. Certains veulent en découdre, qu’ils soient téléguidés ou simplement ennuyés de rester bras ballants. Les forums de discussion sur internet dégorgent de propos haineux, racistes et belliqueux.
Pour l’instant, nous feignons de ne pas voir. Il faut tout d’abord sauver l’été, et permettre aux touristes et Libanais d’Outre-Mer de venir dépenser leurs dollars dans les bars, boîtes, bordels et hôtels beyrouthins.
Passée la saison estivale, que nous réservera Septembre ?
Les Libanais donnent de plus en plus l’impression d’être en désaccord sur tout. Il leur reste sans doute la mémoire courte pour trouver un terrain d’entente.
jeudi 12 juin 2008
Découvertes et retrouvailles
L’atmosphère y était pesante et, à la nuit tombée, les rues se vidaient. Les réverbères, souvent allumés en plein jour et en pleine pénurie d’électricité, s’éteignaient avec l’arrivée de l’obscurité… implacable logique libanaise.
Il sortait des rares foyers éclairés le son des journaux télévisés de TéléLiban ou de la LBC. Un générique au synthé annonçait les caricatures de Pierre Sadek et s’entendait dans tout le quartier.
Ses nuits d’été sentaient le katol, étaient longues, étouffantes et moites.
Très vite, nous avons cessé d’y estiver, par souci de confort pour notre famille nombreuse mais également de sécurité. Nous préférions nous entasser à six dans un « chalet » en bord de mer à quelques lieues de la capitale. Celle-ci n’était jamais très loin. Elle était même en face. Par temps clair, nous en apercevions la forme des immeubles.
Mon Père conduisait notre vieille Mercedes blanche 280SE modèle 1970 qui se frayait un chemin entre les herbes folles et les murs de sacs de sable. Nous étions au cœur de la ville qui, disait-on, allait pouvoir se réveiller de son long cauchemar de quinze années.
La voiture s’immobilisa. « Yallah, descendez les enfants » dit ma Mère d’une voix basse, comme pour ne pas réveiller quelque âme égarée. Mon frère, mes soeurs et moi nous exécutâmes.
La guerre était bien terminée. A dix ans, je me demandais qui des gentils ou des méchants avait gagné.
De rares curieux s’aventuraient entre les égoûts éventrés, les immeubles hantés et les ruelles encore minées. Quelques vendeurs de ballons déguisés tentaient de redonner vie à la ville morte. Un vendeur de « quatre saisons » offrait rafraîchissements et cafés turcs espérant profiter de la manne que la nouvelle attraction pouvait lui apporter.
La terre très fertile était rouge.
Les immeubles alentours n’existent plus aujourd’hui.
Au milieu d’un terrain un peu vague trônaient les statues des Martyrs trouées par les balles perdues et volontaires. Je me demande encore ce qu’elles pensent. En les regardant, je m’aperçois qu’elles donnent l’impression de vouloir s’interposer entre belligérants, malgré les balles et les bombes.
La ville totalement rasée semblait m’en cacher une autre qui m’était encore inconnue.
De toute cette visite, j'en retiens surtout le silence : celui de la ville détruite et celui de mes parents la redécouvrant.
Depuis pourtant, nous sommes retournés à Beyrouth ; et malgré son élégante laideur, je l’ai dans la peau.
JP A.
jeudi 29 mai 2008
La radio de mes parents
« Quel formidable outil, Internet ! »
Effectivement. À chacun sa méthode pour se tenir informé de nos jours.
Les blogs pullulent sur la toile, nous informant en temps et en heure des derniers développements. Les dépêches des agences de presse tombent régulièrement. Les journaux télévisés sont rediffusés sur la toile tantôt en direct, tantôt en différé si bien que nous avons vu et revu les mêmes éditions des dizaines de fois.
Bref.
Mais le plus formidable, n’est-il pas de pouvoir écouter les radios, et plus particulièrement celles émettant à partir du Liban. Mon ami me racontait que les jingles de certaines radios n’avaient pas vraiment changé, ou tout au plus, avaient été réadaptés et modernisés.
Cela fait longtemps que je ne les écoute plus les radios libanaises.
Nous sommes donc partis dans de brèves imitations de ces jingles qui avaient, d’une certaine manière, marqués nos enfances respectives et qui nous donnaient le sourire.
Il était étonné de voir que moi-même l’émigré-expatrié les connaissait par cœur.
Oui, je les connais par cœur ces inquiétants jingles de radio, ces génériques d'émissions.
Avant la télévision par satellite, l’information n’étant pas ce qu’elle est devenue aujourd’hui, il était essentiel pour les Libanais installés à l’étranger de s’informer très vite.
Les coups de téléphone « n’accrochaient » pas, il n’y avait jamais de « khat », de tonalité. Il fallait s’informer au plus vite du « flash » au moment où il tombait. Savoir si la famille, les proches ou les amis étaient exposés au danger relaté.
Le « flash », un terme que je déteste parce qu’il claque à mes oreilles… et parce qu’aussi annonciateur de mauvaises nouvelles.
Le meilleur moyen était donc la radio.
La nôtre ne sert plus depuis des années mais mes parents l’ont gardé quelque part, au fond d’un débarras. Nous l’allumions tous les soirs avant ou pendant le dîner.
Toute ma famille était alors réunie.
Nous attendions ce fameux jingle.
Notre radio était de couleur noire et de marque National (si je ne me trompe pas), avait quelques boutons de couleur grise pour régler la fréquence ainsi qu’une sorte de planisphère bleu représentant les fuseaux horaires.
Mon père déployait la longue antenne de celle-ci et, portant le lourd engin à bout de bras ou parfois au-dessus de sa tête, essayait de capter une timide onde qui daignerait passer du côté du Golfe Persique. Il fallait parfois monter sur le canapé pour pouvoir capter une onde à hauteur du plafond.
Le silence se faisait alors; nous tendions l’oreille. La voix parfois inaudible et monocorde du journaliste émergeait au milieu de la friture.
Les informations tombaient en arabe. Mon père écoute religieusement en jouant avec sa moustache, ma mère une cigarette à la main essaye de me cacher ainsi qu’à mon frère et mes sœurs son angoisse.
« Jingle… Voiture piégée… friture… Beyrouth Est… francs-tireurs… FLASH… bataille… syriens… Musée… Ring… bombardements… secteurs…civils… Beyrouth Ouest… FLASH… Jounieh… Aéroport fermé… enlèvements… attentats… FLASH…victimes… friture… jingle… friture… »
Mes parents sortaient de cette séance radiophonique comme sonnés. Point de langage codé comme du temps de la B.B.C. Londres. Les mots étaient directs, horriblement simples et crus.
Nous nous inquiétions pour notre famille. Nous observions, écoutions le naufrage.
Jingle de fin.
Il ne me fait finalement pas vraiment sourire… mais provoque encore comme une douleur, une boule dans mon ventre.
JP A.
mercredi 21 mai 2008
Le Liban est un rubicube
Le soleil s'est levé...bienvenue!
Ici Londres... les carottes sont cuites... je répète... les carottes sont cuites...
Ecrit le 14 Mai 2008.
- « Tu es du 14 Mars ou du 8 Mars ? »
- JE T’EMMERDE CONNARD !
Les jours et les nuits blanches passent. Je fais, refais, défais le Liban, son passé et son avenir jusqu’au petit matin.
Je cherche à m’en tenir aux conséquences à court ou moyen terme de ces derniers évènements. A leurs conséquences sur le Liban, uni et indivisible, libre, souverain et indépendant du « Lundi 14 Mars 2005 ».
Le méchant, c’est toujours celui d’en face ; et celui au milieu, on y a pensé ? Libanais étranger à toutes ses querelles de pouvoir va une fois de plus se retrouver au milieu de tout cela… à moins qu’il ne décide de mettre les voiles à jamais.
Je suis en colère et je n’ai même plus la force de prier. Prier pour qui ? Pour quoi ? Pour quelle idée du Liban ? Si demain le calme y revient ainsi qu’un semblant de paix, il reste qu’il y aura comme un arrière-goût pourri à tout cela. Les vieux démons du passé ont déjà ressurgi. Les lignes de fractures se sont déjà formées. On parle de crise politique en en dessinant des contours strictement communautaires. Cherchez l’erreur.
Je suis en colère parce que certains tolèrent et feignent de ne pas voir ce qui se passe. Jadis cernés par Israël, et la Syrie, nous voilà même menacés par nos propres frères. Les portraits d’un certain dictateur Syrien zozotant sont de retour à Beyrouth. Ni Est, ni Ouest, mais Beyrouth que je ne veux pas diviser ; je refuse la ligne verte.
On brûle des médias, et certains ne s’insurgent pas simplement parce qu’il s’agit du camp adverse. Cautionnent-ils ce qui fut fait à la MTV ? Cautionnent-ils ne serait-ce qu’une seule chose de ce qui s’est déroulé ? Tout ? Pas tout ? Ah bon… je ne savais pas qu’il y avait un menu et que l’on pouvait choisir son « forfait ».
Propagande et contre-propagande… les maîtres mots dans cette guerre civile froide, cette guerre subversive, sous-traitée à de probables traîtres.Je ne veux plus croire personne, je ne sais plus en qui croire.
Débranchez la télé et les « akhbar » et réfléchissez un peu.
Le temps des miliciens et des cow-boys encagoulés est de retour : RPG, Kalach, M16, drapeaux jaunes ou verts ou noirs fascisants. « Ils n’oseront pas retourner leurs armes contre les Libanais » disait-on… Et aujourd’hui, on se confond encore en excuses et prétextes pour justifier qu’ils l’aient fait : « Ils n’avaient qu’à pas nous chercher ».Une armée qui ne tire pas et ne s’opposera pas à l’assaut des illogiques car elle pense jouir pour l’éternité d’une aura populaire.Blocus du Port et de l’aéroport, des principaux axes. Tous les ingrédients du "parfait petit coup d'état étaient réunis", n'en déplaisent à certains.
Je suis en colère parce que beaucoup de martyrs se retournent dans leurs tombes. Je ne parle pas seulement des Martyrs tombés récemment, mais plutôt des Anonymes. Ceux tombés un 13 Octobre 1990 par exemple, parce qu’ils ont cru en un homme et en une certaine idée du Liban.
Israël, Syrie, Hezbollah : même combat. Celui d’un travail de sape savamment et habilement orchestré (bravo!). Un travail qui aura brisé l’élan et les espoirs de ma génération. Parce que nous n’étions pas suffisamment forts pour affronter l’Histoire, parce que nous avons (re)suivi les mêmes hommes obnubilés par l’intérêt de leur petite personne, parce que nous avons été naïfs.
Parce que nous ne sommes pas seulement un peuple de moutons, mais également d’autruches.
Je ne défends personne, je ne cautionne personne et je n'excuse personne.
Je vais me coucher. Le soleil vient de se lever.
JP A.