dimanche 15 novembre 2020

Quitter

Quitter.

Il est déjà difficile d’entendre que les jeunes quittent le Liban.
D’observer que les jeunes sont en train d’émigrer en masse ou qu’ils se préparent à le faire.
Que les forces vives d’un pays en train de mourir cherchent à partir à tout prix.
Quand il est déjà difficile d’entendre que les jeunes quittent le Liban, cela devient insupportable d’entendre que les personnes âgées, les anciens, les vieux et les retraités l’évoquent également et y songent sérieusement.
Mais comment peut-on, nous autres émigrés, leur en vouloir? Aucunement, même si l’inquiétude de savoir ses proches éloignés cédera sa place à la tristesse de savoir un pays finalement abandonné.
Un jeune qui part et c’est l’avenir d’un pays qui est compromis. Un ancien, et ce sont l’histoire et la mémoire qui s’effacent petit à petit. Presque en silence.
Je ne pensais pas avoir encore de place pour davantage de colère.
Je ne veux pas avoir à parler de mon pays au passé. Qu’aurons-nous gagné à encore soutenir untel ou untel si, au final, ceux-ci nous pousserons à construire, ou finir, nos vies ailleurs?
كلن يعني كلن

jeudi 6 août 2020

4 Août

Les mots me manquaient. Les phrases me manquaient pour parvenir à décrire cette immense tristesse qui me serre le ventre et me rougit les yeux. Je ne parvenais pas à canaliser ce flot de pensées.

Sidéré. Incrédule. Éloigné. Impuissant. Affolé. Triste. Apeuré. Si amer.
Je pensais que les mots me manquaient. En réalité, je dois malheureusement admettre presque honteusement que je ressens aujourd’hui beaucoup de haine.
Mon mépris d’hier est devenu de la haine, et je m’en excuse presque. Une haine insoupçonnée.
Une soif de vengeance envers tous ceux qui ont tué, martyrisé, occupé, bombardé, pillé, pris en otage ou asservi le Liban et le peuple libanais ces 40 dernières années. Envers tous ceux qui se sont joués de nous, qu’ils soient libanais ou non, qui nous ont manipulé pour anéantir nos rêves, ceux de ma famille, des miens et des gens qui aspirent simplement à vivre dignement et paisiblement.
J’ai une rageuse haine envers tous ceux qui ont contribué à ensevelir il y a quelques jours nos derniers souvenirs sous les ruines fumantes de Beyrouth.
Qu’ils soient libanais ou non, ils rendront des comptes à ceux restés au pays, à ceux qui ne sont pas encore partis ou qui ont deja émigré le cœur déchiré, à ceux qui ont caressé l’espoir d’un retour pendant des années et des générations mais qui ne le feront jamais.
Cette explosion, au delà de la recherche des responsables qui payeront, est à l’image de nos frustrations ensevelies, de nos souffrances maquillées par de la résilience et de nos gigantesques désillusions.
J’ai de la haine. Une haine insurmontable. Un désir de vengeance car la justice ne me suffit plus. Et c’est cela aussi qui me rend profondément triste et m’effraye.
Pour m’en débarrasser, il est temps à présent de se débarrasser d’eux. Sans perdre la raison.

jeudi 25 juin 2020

Pour quoi?

 Liban.

Quinze années de guerre civile. Suivies de quinze années d’occupations Syrienne et Israélienne. Suivies de quinze années de paix relative, presque suspecte. Ces quinze dernières années émaillées de troubles divers, de tensions, d’espoirs et de désespoirs, de violences verbales, de « petites guerres » estivales, fratricides ou confessionnelles, d’émigration et d’exils.
Tout cela pour rien.
Avec son lot de morts pour rien.
De disparus pour rien.
Des morts pour des causes oubliées ou montées de toutes pièces, avec pour seul lot de consolation celui d’être devenu un martyr. Pourtant, même ces martyrs ne font pas l’unanimité puisque les martyrs des uns ne font pas les martyrs des autres.
Toute cette merde, pour en arriver là: un probable suicide collectif.
Des tranches de vie. Des vies entières à vivre au rythme des battements du cœur de ce petit pays et de ses soubresauts. A espérer. A prier. A croire encore que le Liban est véritablement un phénix.
Qui sont-ils, ceux qui sont prêts à cramer une fois de plus ce pays pour continuer à allumer leurs cigares? A régler leurs petits calculs politiciens ou miliciens, quitte à nous affamer?
Quand pourrons-nous enfin danser et cracher sur les tombes de ces increvables petits chefs mafieux, si nous ne parvenons pas à les faire danser au bout d’une corde ou à empêcher qu’ils ne soient enterrés sur cette terre?
Qui sont-ils ceux qui sont parvenus à faire de ce peuple « commerçant et débrouillard » des mendiants suscitant, au mieux, davantage de pitié que de peine, et au pire davantage de méfiance que d’indifférence?
Mais parviendrions-nous seulement à les désigner tous d’une seule et même voix?
Le peuple Libanais était schizophrène, à la fois adorant et détestant ses petits, ses minuscules chefs. Nous sommes désormais TOUS des schizophrènes affamés.

jeudi 10 mai 2018

Pénélopes

Je tente de remettre un peu d’ordre dans ma tête.
Les visiteurs passaient de galeries en galeries. Des œuvres et des manuscrits d’un autre temps, vieux de deux mille ans y étaient exposés: pierres, mosaïques, ouvrages sacrés à l’alphabet familier mais indéchiffrable par le profane. Ils s’y trouvaient également des œuvres plus contemporaines : projections, cartes anciennes et photographies de ces contrées à la fois proches mais autres.
Les visiteurs passaient de galeries en galeries. Certaines plus obscures que d’autres invitaient au recueillement devant les collections exposées. Tous les visiteurs ne se ressemblaient pas. De simples curieux, sans lien personnel avec le thème de l’exposition, côtoyaient des visiteurs en quête de quelque chose ou de quelqu’un, parfois sans le savoir ; en quête d’un souvenir ou d’une explication, parfois pressés de trouver ce qu’ils recherchaient. Leurs traits et leurs yeux humides trahissaient souvent des origines levantines.
Les visiteurs passaient de galeries en galeries. Une sympathie semblait les lier. A vrai dire, ces visiteurs-là ne découvraient rien de nouveau. Ils se remémoraient et remettaient un peu d’ordre dans leurs esprits ou leur héritage. Une photographie prise au siècle dernier que le temps avait jauni servirait désormais à illustrer une histoire racontée jadis, à la perpétuer. Cette carte d’Anatolie ou de Syrie rappellerait l’orthographe du lieu d’où ils entreprirent une longue traversée. Une gravure parue dans un journal et sa légende précisaient un fait historique ou un décompte macabre.
Un visiteur demeura figé devant une série de photographies contemporaines. L'une de celles-ci retint toute son attention. Il ne cessait de la contempler, muet, incrédule et immobile au milieu des passants. Il s’agissait du portrait d’une dame posant dans son appartement. Elle était assise dans un fauteuil, tournant le dos à une fenêtre, une tasse de café turc à la main. L’auteure était à ses côtés, une troisième tasse était posée sur la table basse devant elles. Les volets fermés, le fauteuil houssé et un éventail à portée de sa main évoquaient la chaleur d’une journée d’été. Il reconnut cette tenue qu’elle portait, dont il confondait souvent les fleurs qui y étaient brodées avec des papillons. Il reconnut le décor et le salon de son enfance dans lequel la photographie avait été prise. Elle le fixait et lui portait un regard doux, affichant un sourire timide et bienveillant.
Ses yeux allaient et venaient entre le cartel et le portrait. «Patiemment, elles attendent » était-il inscrit sur le panonceau. Pourtant, il ne pouvait l’appeler car elle était déjà partie. Sa Tante, sa marraine, était partie mais elle l’attendait à Paris dans cette galerie d’exposition de l'Institut du monde arabe consacrée aux Chrétiens d’Orient. Patiemment. Tranquillement adossée dans son fauteuil, un café à la main. Dans cette photographie comme une fenêtre ouverte sur un salon si familier de Beyrouth ; comme s’il était de l’autre côté d’une rue ensoleillée, comme si cette tasse posée sur la table basse était la sienne. Il lui aurait posé toutes les questions qu’il n’avait jamais osé lui poser.
Il tentait de trouver un sens à tout cela. Et s’il ne l’avait jamais su. Et s'il n'était pas venu?
Les visiteurs continuaient de passer de galeries en galeries et je suis resté un long moment planté devant cette photographie.
Et puis j’ai souri.

lundi 18 janvier 2016

Indigestion


 
Trop de pauvres. Trop de misère. Trop de mendiants. Trop de gens ne mangeant plus à leur faim. Trop de gens qui conduisent bourrés. Trop de jeunes qui crèvent sur les routes. Trop de fêtes sur un volcan. Pas assez de tunes. Trop de gens qui balancent leur merde par leur fenêtre de voiture. Trop de poubelles. Trop de poubelles roulantes. Trop de voitures à crédit. Plus d’arbres en ville. Moins d’arbres à la montagne.  Moins de cèdres. Peu de touristes. De plus en plus de « citoyens grognons ». De moins en moins de citoyens. Trop de béton. Trop de tours. Trop de centres commerciaux. Trop de projets immobiliers. Moins de maisons à arcade et tuiles rouges. Moins de jaune ocre. Trop d’immeubles de luxe. Trop cher d’habiter Beyrouth. Trop de temps de trajet en voiture. Trop de grosses voitures. Pas de parkings. Pas d’argent en banque. Trop de liquide dans mon portefeuille. Scolarité trop chère. Université trop chère. Pas de boulot. Trop de pistons. Pas de pistons. Peu de mérite. Peu de cervelle. Trop de fuite des cerveaux. Trop de discussions politiques. Pas de discussions politiques. Trop de jeunes dehors depuis trop longtemps. Trop de jeunes qui continuent de partir. Trop de filles et fils à l’étranger. Trop de parents qui attendent leur retour. Trop d'enfants qui émigreront. Trop de wéjbèt. Trop de cons. Trop de connes. Trop de cons trop cons. Trop de nanas au volant qui parlent au téléphone. Trop de nanas qui draguent plus vieux qu’elles. Pas de sexe (officiellement). Trop de frustrations. Trop de meufs pour peu de mecs. Trop de lifting et botox. Trop de concours de beauté. Trop de « miss » machin et « mister » truc. Pas d’entrée sans réservation. Beaucoup de paraître. Trop de regards. Trop de « Mais que diront les voisins ». Trop de voitures. Trop de « valet parking ». Trop de barbes. Trop de DAESH, de DAECH, ou d'EI. Trop de voiles. Trop de grosses croix. Trop d’intolérance. Trop de militaires. Trop de barrages. Trop d’armes. Trop de tirs de joie. Trop de kaki, de gris ou de noir. Trop de militaires morts pour nous. Trop d'otages. Trop de routes. Trop de klaxons. Trop de pneus qui crissent. Trop de sirènes hurlantes inutiles. Peu de feux de signalisation. Beaucoup de contresens. Trop de sens interdits pris en sens interdits. Essence trop chère. Pas de trottoir. Pas de lumière la nuit. Pas de transports publics. Pas prendre le bus. Pas de bus de toute façon. Beaucoup de montagnes et de neige mais pas d’eau. Pas d’électricité. Trop de générateurs. Pas de dawlé. Pas assez d’ampères. Trop de « missed call ». Trop d’IPad, d’IPod ou d’ail. Pas d’ascenseur. Trop d’enfants laissés aux gouvernantes. Trop de racisme. Trop de lois inappliquées. Pas de droits. Pas de devoirs. Trop de passe-droit. Peu de savoir-vivre. Moins de vivre ensemble. Trop de pollution dans l’air. Trop de merde dans la mer. Trop de merde dans les yeux. Trop de merde tout court. Trop de plastique partout. Trop de poubelle qui brûle sur le bord des routes. Trop de poubelles. Trop de poubelles. Trop de POUBELLES. Trop d’autres priorités. Trop d'immobilisme. Trop chaud en été pour marcher. Trop loin pour y aller à pied. Trop de vieux qui trébuchent sur les trottoirs. Pas de retraite. Trop de médecins. Pas de sécurité sociale. Pas d’assurance maladie. Trop d’anxiolytiques. Médicaments trop chers. Trop de feux d’artifices à la Saint glinglin. Trop de bruit pour rien. Trop de regards quand tu rentres dans un restau. Restaus trop chers. Trop de restaus très design mais dégueus. Trop d’intoxications. Trop de scandales alimentaires. Pas de « precept ». Trop d’huile d’olive. Trop de bouffe. Trop de discussions sur la bouffe. Trop d’entre nous à l’étranger. Trop de travailleurs Syriens. Trop de réfugiés Syriens. Trop de mendiants Syriens. Trop de Palestiniens. Trop de Saoudiens. Pas de Saoudiens. Trop de Qataris. Pas de Qataris. Trop de chômeurs. Trop de réfugiés qui en chient. Trop de terroristes. Trop de terrorisme intellectuel. Trop de fantômes du passé. L’avenir est encore trop loin. La guerre toujours proche, au nord, à l’est, au sud, dans le ciel. Billet d’avion trop cher. Trop de petites guerres. Séjour trop court pour faire une escale. Billet trop cher pour un vol direct. Trop de monde à l’aéroport. Trop d’expatriés seulement de passage. Trop de « tu ne peux pas comprendre, tu ne vis pas ici ». Trop de bouchons en ville. De plus en plus d’émigrés qui ne veulent plus revenir. Trop de monde au contrôle passeport. Trop de douaniers qui te parlent mal. Trop d’informations à donner sur la petite fiche rose. Pas d’autre nationalité. Bien choisir sa file d’attente. Trop de regards à l’aéroport après le dernier contrôle. Moins de gens qui lisent. Trop de télé. Trop de pubs. Trop de talk-shows débiles. Trop d’hommes politiques à la télé. Trop d’écrans. Trop d’écran de fumée. Trop de fumée de clope. Trop de cigares. Trop de théorie du complot. Trop de politique. Trop de politiciens. Trop de politiciens. Trop de politiciens. Trop de ces enculés qui nous ont vendus. Pas de stabilité. Peu de sécurité. Pas de paix en vue. Peu de république. Trop de républiques. Pas de Président de la république. Trop de Libans.  Pas de Liban. Trop petit pour être redessiné. Trop grand pour être avalé. Trop de députés. Trop de fils de députés. Trop de « fils de » ou « filles de ». Trop de fils de putes. Trop de petits fonctionnaires corrumpus ou corruptibles. Trop de gens prêts à corrompre. Beaucoup de liberté de presse. Pas de presse libre. Assez de liberté d’expression ? Trop d’huile (d’olive) sur le feu. Trop de flashs inutiles. Trop de communautés. Pas de communauté nationale. Trop de communautarisme. Moins de coexistence. Moins de dialogue. Trop de gamins avec des smartphones. Trop de facebook. Trop de réseaux sociaux. Trop de haine sur les réseaux sociaux. Trop de bêtise qui pense. Trop de violence. Trop de peur. Trop de jeux sur la peur. Trop de fractures. Trop de factures. Trop de partis politiques. Trop d’anti-truc ou pro-machin. Trop d’intérêts personnels. Trop de clientélisme. Trop de traîtres. Trop de faux sauveurs. Trop de fossoyeurs. Pas d’élections. Trop de foutage de gueule. Pas de mémoire. Trop de mémoire courte. Trop de nostalgie. Plus de bon sens. Plus de cohérence. Trop de gens partis. Peu qui reviendront. Trop, peu ou plus d’espoir. Encore de l’espérance. Trop de fierté mal placée. Trop de donneurs de leçons. Trop d’arrogance. Beaucoup de nostalgie. Trop de gâchis. Trop d’amour.

Trop c’est trop.

dimanche 6 décembre 2015

A la classe politique française

Chère classe politique de merde, de droite et de gauche, du centre et des extrêmes,

Pour te dire la vérité, j’ai attendu la fin d’un vieux policier « Peur sur la ville » avec mon idole, Belmondo, avant de zapper sur les chaînes d’infos (de merde) pour connaitre les résultats des élections régionales. Ce que tu avais à me dire ne m’intéressait pas. Tu allais me resservir la même litanie que j’entends depuis que j’ai voté pour la première fois en 2002.

Comme je le pensais, tes représentants qui courent de plateaux télé en plateaux télé pour y faire de la comm’ se sont montrés aussi pitoyables qu’à la séance des questions au gouvernement après les attentats du Vendredi 13 Novembre. Aucune remise en question. Du déni. Une sorte de cynique arrogance.  Faut-il vous rappeler que dans l’expression « responsable politique », il y a « responsable » ?

« Il faut entendre le message du peuple français ». « Nous avons compris la souffrance des français ». « Il faut sauver la République ».

Etes-vous bêtes ? Ou le faites-vous exprès ? Est-ce que vous pourriez arrêter de nous prendre pour des cons ? S’il vous plait.

Depuis bientôt 15 ans, vous nous servez la même soupe et les mêmes pleurnicheries en nous prenant pour des idiots. Pourtant ce ne sont pas les alertes qui ont manqué. Les deux principales alertes qui auraient dû vous mobiliser ces dernières années sont celles du 21 avril 2002 et des émeutes dans les banlieues en 2005.

Gouverner, c’est prévoir. Or il semblerait que vous soyez les seuls à ne pas avoir prévu que la France serait menacée par deux fascismes, la confrontation desquels pourrait malheureusement bien sceller son destin : le Front National et le salafisme.

En près de 15 ans – c’est-à-dire une période suffisamment longue pour mettre en place des réformes institutionnelles, économiques, éducatives, sociales, urbaines, fiscales et sécuritaires – rien n’a été fait pour endiguer et contrer ces deux menaces.

Les institutions ? Nous sommes passés du septennat au quinquennat. Vous êtes donc constamment en campagne, si bien que nous sommes obligés de nous taper vos tronches encore plus régulièrement lors de soirées électorales où l’abstention bat des records. Les 35 heures ? Quelle brillante idée ! Dire au peuple de se branler la nouille alors que la Chine et l’Inde sont en train de se réveiller. Le chômage ?  Il est devenu une courbe, une statistique pour cacher la réalité misérable des gens qui en chient. La croissance ? Elle est passée par ici, elle repassera par là. L’Europe ? Un « machin » composé de connards de technocrates grassement payés qui n’arrivent pas à se mettre d’accord et qui de toutes manières ne croient pas en ce projet. Les banlieues ? Un petit coup de peinture par-ci, par-là sur une barre d’HLM en attendant le prochain cri à l’aide. L’ascenseur social et l’école ? En panne. Les élites se reproduisent entre elles, se cooptent entre elles, se décorent comme on accordait jadis une particule. La méritocratie ? Elle crève à petit feu. La laïcité ? Trainée dans la boue au profit de communautarismes et galvaudée par ceux-là même qui réclament sa paternité. La citoyenneté, l’intégration et l’identité ? En crise, à tel point que devenir djihadiste est devenu une alternative pour notre jeunesse. La diplomatie et la politique étrangère? Aucune vision et des alliances douteuses avec des pays peu fréquentables, en contrepartie d’un investissement ici ou là. La politique de manière générale ? Remplacée par de la communication. Vous « tweetez », « instagramez », « likez » au lieu de gouverner, de siéger ou d’aller sur le terrain. Nos impôts ? Ils vont à présent servir à bombarder la Syrie.

La liste est encore longue.

Quinze ans. Quinze ans pour empêcher un vote contestataire de devenir un vote d’adhésion. Quinze ans qui ont fait pssshit.

Les médias ? A vous la palme. Menteurs et complices, qui déformez plus que n’informez, qui stigmatisez et traitez d’infos capitales en quelques minutes entre deux pubs en copiant-collant des dépêches AFP. La politique est devenue spectacle. L’information est devenue un sondage. Oui ? Non ? Plutôt oui ? Plutôt non ? Sans opinion ? Pauv’ cons.  A croire que les instituts de sondage vont remplacer les institutions. Les médias, qui font de chaque élection locale ou régionale un enjeu national pour des considérations d’audimat, parce que la peur fait vendre des encarts publicitaires ou des feuilles de choux, sans expliquer quelles sont les compétences respectives d’une région, d’un département ou d’un canton. Je vous méprise.

Je vous méprise parce que vous jouez sur les peurs. Parce que vous relayez des propos irresponsables lorsque ce ne sont pas du bla-bla-bla, du bruit de fond ou des phrases toutes faites. Parce que vous avez fait ça pendant quinze et je crains que vous ne soyez pas prêts de vous arrêter. Jouer sur les peurs en ces temps tourmentés où les Français se cherchent et doutent, où il aura fallu que ce soit le monde qui lui rappelle qu’il était encore le grand peuple d’un grand pays.

Alors il va se passer quoi maintenant, chère classe politique de merde, qui gouverne et qui s’oppose ? On repart pour quinze ans à ne rien faire, à aller de campagnes électorales en campagnes électorales  en se lamentant avec des larmes de crocodiles ? De deuils en deuils, à observer le FN et le salafisme monter inexorablement avec ici ou là quelques attentats pour agrémenter le tout.

Ou bien on se sort les doigts du cul et on essaye de sauver ce qui peut encore être sauvé avant qu’il ne soit trop tard ?

L’heure est grave et s’il faut se fier à vos beaux discours et à votre réaction après le 21 avril 2002 ou les émeutes de 2005, je crains que nous ayons quelque souci à nous faire.

Alors s’il vous plait, répondez-moi : êtes-vous encore plus cons qu’on ne le pense ou bien le faites-vous vraiment exprès ?

Je crains votre réponse. 

samedi 12 octobre 2013

In the mood for war

J'écris lorsque ça va mal. J'écris lorsque j'ai peur. Pas pour moi, peur pour les autres. J'écris pour chasser ma peur. Comme une thérapie.

Je raconte à qui veut l'entendre que je suis optimiste. Et pourtant.

Et pourtant, il y a quelques mois, je marchais dans la réserve des Cèdres. Les chasseurs Syriens la survolait, comme un mauvais présage. La veille, deux avions Israeliens volaient très haut dans le ciel de Beyrouth.

A Tripoli, une armée de casques bleus a peur de s'interposer entre des belligérants à la mémoire courte, comme si la grande muette était encore la seule à se souvenir.

A Saida, un barbu sorti de nulle part avait arrangué des foules et veut en découdre avec son alter ego. D'autres barbus font de la résistance hors de nos frontières pour défendre un dictateur zozotant.

Des centaines de milliers de réfugiés Syriens s'ajoutent aux centaines de milliers de réfugiés Palestiniens parkés dans des camps depuis décennies. Et l'hiver approchant n'arrangera rien de plus.

Les députés restent à la hauteur de leur ridicule réputation. Les zaïms excèlent dans le clientélisme et la médiocrité.

Le patrimoine disparait. La société se délite. Le fric, le fric, le fric. Les communautarismes sont exacerbés.

Dis-moi ce que tu as, je te dirai qui tu es.

A l'aéroport, des jeunes partent. Dégoutés. Un aller-simple à la main. Peu souhaitent revenir.

Plus que jamais, le pays est amnésique. La toxique absurdité est généralisée, dans les propos, les projets politiques, les comportements sociaux.

Plus que jamais, un bus pourrait en cacher un autre.

Cela est peut-être facile de l'exprimer dans son confort parisien où les difficultés quotidiennes paraissent n'être que broutilles à côté des difficultés locales et régionales. De dire aux autres de rester et de ne pas repartir soi-même.

Et pourtant il y a toujours de l'espoir, inexplicable. Une foi.

Une espérance.

samedi 20 octobre 2012

Habemus Bordelum


Ceci n’est pas un blog politique.

L’homme en blanc avance lentement mais sûrement. Plus rapidement en tous cas que son prédécesseur. Une haie d’honneur de la garde républicaine en costume d’apparat borde le tapis rouge dans le couloir menant  à la salle des fêtes de Baabda.

Les journalistes sont un peu l’écart mais couvrent bien l’évènement pendant la trêve politique. Ils se tiennent derrière un cordon, rouge lui aussi.

Peu importe la chaîne de télévision sur laquelle un foyer est branché, elles retransmettent toutes cette visite officielle. Seul l’angle de la caméra diffère d’une chaîne à l’autre.

« Votre Sainteté ! Bénissez les médias ! » Crie en français à l’homme en blanc une journaliste couvrant l’évènement en direct du palais présidentiel. Celui-ci s’arrête ainsi que son hôte à sa droite. Les autres journalistes en direct du studio rient de l’audace de leur consoeur.

Le Pape s’arrête. Il marmonne quelque chose, une prière sans doute – je me demande encore laquelle – et bénit donc nos chers journalistes.

Oh ! Oui, très Saint Père, bénissez nos chers médias libanais !

Bénissez ces médias télévisés, promoteurs d’une régression culturelle ; cette télévision qui abrutit nos enfants, matraque la ménagère de moins de cinquante ans de publicités tous les quarts d’heure. 

Bénissez ces médias sur lesquels du matin au soir, à l’écran comme sur les ondes, des talk-shows politiques sans contradicteurs se succèdent à la place de débats et au détriment d’un journalisme objectif et libre.  

Bénissez les sites Internet d’actualité libanaise autorisant les internautes dans des forums à déverser leur fiel et se livrer à des insultes par avatars interposés sans aucun contrôle.

Bénissez les journalistes dont une majorité se cache derrière la liberté de la presse sans être libres.

Bénissez les médias en quête de scoops invérifiés ou provocants, souvent à côté de la plaque ou de l’information.

Bénissez ces médias qui encouragent les dissensions communautaires au nom de la liberté d’expression.

Bénissez les journaux télévisés qui à l’heure de la Grande Messe locale de 20 heures débutent leur édition par un message politique au lieu d’une analyse.

Bénissez ces médias, porte-voix des différents courants politiques qui mènent une politique du gouffre.

Bénissez les médias qui véhiculent « la petite phrase ».

Bénissez ces médias qui relayent les messages souvent haineux dans un pays que l’on se vante de surnommer le « Pays-Message ».

J’ai cru vomir. J’en avais la nausée.

Hier, Achrafieh était frappée d’un attentat. Chacun y va de sa petite opinion.

Faut-il avoir peur d’attentats ou de leurs conséquences ? Qui portera la responsabilité de leurs conséquences ?

Nous avons longtemps dansé sur un volcan. Trop longtemps. S’apprête-t-il à exploser ?

Seul Dieu le sait.

Et le Pape ?

mercredi 15 février 2012

Marc de café

Je me préparais à faire ma tournée familiale. Un petit coup de téléphone afin de m’assurer que mes proches sont bien chez eux.


J’appelle ma tante :
- « Je peux passer ? »
- « Ahla w Sahla ! »

J’enfilais ma veste marron et sortait. Le trajet qui me sépare de la maison familiale paternelle est court mais rempli de souvenirs. Quelques minutes de marche me rappellent des années d’enfance. Elles me reviennent à chacun de mes pas me rapprochant de la vieille bâtisse jaune ocre. Je marche au milieu de la rue, les trottoirs étant trop étroits ou inexistants.

J’emprunte la rue de la Gare ; un nom de rue sans doute connu de personne, mais m’ayant toujours rappelé le pictogramme des trains sur les plateaux de jeu de société « Monopoly ». C’est sans doute pour cela que je m’en souviens encore en passant devant la plaque de rue bleue abîmée par le temps et les flammes.

Peu d’immeubles ont poussé dans ce quartier en raison d’un projet d’autoroute vieux de plus de cinquante ans qui tarde à se réaliser… Parfois, le rythme oriental est salutaire. Je croise marchands ambulants et vendeurs de fruits et légumes sur le chemin et autres artisans. Les cris d’enfants se font entendre depuis le Jardin de Jésuites tout proche, un des derniers poumons verts de la ville.

J’arrive au carrefour de l’Hôpital Orthodoxe. Des panneaux indiquent que le sens de la circulation des voitures aurait changé depuis quelques mois ; les automobilistes préfèrent cependant s’en tenir à leurs habitudes acquises depuis des années. Je m’engage dans la rue Asseily où quelques papis parlant arménien jouent au tric-trac sur les marches de leur paroisse du quartier.

Je suis déjà arrivé. Mon oncle et ma tante étaient sur le balcon et attendaient que j’apparaisse au coin de l’immeuble. D’autres voisins de la rue étroite semblent me reconnaître malgré les années, ma barbe et leurs cheveux grisonnants. Ils me sourient et me souhaitent la bienvenue tout en m’invitant à boire le café. Je les remercie ; une autre tasse de café m’attend sûrement déjà.

- « Smallah ! Tu as encore grandi, me disent mon oncle et ma tante en m’embrassant sous le portrait peint de mon arrière arrière-grand-père, dont mon père semble avoir perpétué la moustache.

Ici à part la télévision ou le climatiseur, rien ne semble avoir changé ou bougé depuis mon enfance : ni les meubles ou les tapis ; ni les ouvrages ou photographies ; ni le parfum du jasmin sur le balcon, ni la curiosité des voisins ; ni la pile de vieux numéros de la Revue du Liban dont le papier jauni relatait les actualités passées d’une guerre dont on ne veut plus se souvenir. Ambiance design rétro et pourtant ils ne sont pas bobos. Les plafonds sont toujours aussi hauts, le téléphone a toujours son cadran rotatif.

Et le café – turc ou libanais – est toujours à la cardamome.

Nous rattrapons un peu du temps.

- « Tu prends le café comment ? Sucré n’est-ce pas ? Comme toujours ! »

Ma tante s’éclipse au milieu d’une discussion politique et fait des allers-retours entre la cuisine et la salle de séjour aux plafonds hauts.

Elle apporte enfin les cafés. Je porte la petite tasse à mes lèvres. J’aime le son d’une tasse de café reposée sur sa coupelle. Et la discussion se poursuit autour de la situation locale ou régionale, comme d’habitude, des projets de vacances, de la situation en France, du travail ; tout en alternant libanais et français chantonnant, presque musical; tout en dégustant le café.

Dernière gorgée. Je retourne délicatement la tasse sur la soucoupe afin de laisser le marc de café s’y égoutter et imprimer des formes qui seront interprétées par ma tante. Elle s’assoit silencieusement à côté de moi pour en étudier les traces et leurs contours, laissées sur les bords et le fonds de la tasse, sur ses parois intérieures ou extérieures.
"فنجان حلو...سمالله...الطريق مفتوح وأبيض...في عصفور فوق راسك وولد صغير عام بيطفرج عليك..."
De son petit doigt, elle me les montre. Mon oncle se rapproche également. « Regarde, tu les vois ? »

Elle hoche de temps à autre la tête ou fronce des sourcils.

"في سفرة كبيره وطويلة... رايح شي محال؟ في حداً أو شي ناطرك... واحد أو أوحده عام بطلع عليك... زعلان من شي بس مش عارف من شو ... زعلان من شي؟"
Ma tante me rend de nouveau la tasse afin d’y laisser au fonds l’empreinte de mon pouce ou de mon index. Je laisse une belle trace blanche et ronde. Elle esquisse un sourire.

Je suce mon doigt emprunt du goût du café et de cardamome, les yeux clos.

Mon vœu sera peut-être exaucé.

Un vœu d’enfant.

dimanche 25 décembre 2011

Arcadia


Ou serait-ce le Death Shadow...

mercredi 30 novembre 2011

Vu en vrac hors-saison

Du hublot de l'avion, l'île de Chypre avait toujours la même forme, celle d'un char d'assaut. Un nuage brunâtre enveloppait la ville à l'approche de la piste d'atterrissage, puis un beau ciel bleu au-dessus de la ville pendant ce séjour de quelques jours. Des militaires en arme et uniforme bleu, kaki, beige ou gris étaient à l'ombre d'oliviers plantés dans le parking de l'aéroport.

La vieille route de l'aéroport est toujours au milieu d'un Little Téhéran. Il y avait trop de voitures, de grues et de tours en construction; trop de drapeaux noirs et jaunes et des portraits d'hommes barbus sur des ponts à proximité du ring; plus assez de portraits de Samir Kassir sur les murs jaunes ocre de la ville. Le nouveau clocher en cours de construction de la cathédrale Saint-Georges veut rivaliser en hauteur avec le minaret de la mosquée voisine. Un vieil homme m'a tendu la main place Sassine pour l'aider à descendre quelques marches. Il ne m'a pas parlé, simplement regardé, tendu la main et nous nous étions compris.

En voyant la cour de récréation du Grand Lycée Franco-libanais, j'ai pensé que mes enfants pourraient y être scolarisés avec leurs cousins. Quel foutoir la sortie des écoles, mais quel sacré moment...

J'ai vu beaucoup de belles voitures, beaucoup d'épaves roulantes et de motocyclistes sans casques. Les feux de signalisation clignotent souvent à l'orange, les taxi-service ne sont plus forcément des vieilles Mercedes.
Beaucoup de femmes, les unes belles à la plastique naturelle, et les autres à la symétrie douteuse. Dans le lobby de l'Hôtel Phoenicia, des Golfiotes étaient accompagnés de prostitués. Peu de jeunes gens et beaucoup de personnes âgées. Au mariage auquel j'ai assisté, j'ai vu des femmes voilées et j'étais content de partager un repas avec elles. En rentrant ce cette fête, je remarquais qu'un nouveau parking avait remplacé une ancienne demeure de Tabaris. D'autres résistent encore, avec leurs persiennes vertes, bleues ou oranges.

Chaque matin, je remarquais que le nombre de pages de L'Orient-Le Jour diminuait; je ne vois plus la Revue du Liban dans les kiosques à journaux. J'en lisais toujours les blagues et les caricatures pas drôles de l'avant-dernière page. La énième tasse de Nescafé de Mam à moitié remplie refroidissait pour la énième fois. Pap est sur le balcon dans les nuages ou dans les nuages sur le balcon, je ne sais pas trop. Wardeh veut me faire petit-déjeûner, bruncher, déjeûner, souper et diner dès le réveil. Les téléviseurs sont constamment allumés, dans tous les foyers auxquels j'ai rendu visite.

Il y a toujours autant de Ferns à Achrafieh donnant ces goût et parfum de thym à la ville, mais le Fern Azar de la Rue Saint Louis a fermé boutique. Monsieur Azar, avec sa barbe grisonnante, ses images pieuses scotchées à sa caisse et son marcel, m'accueillait toujours avec un grand sourire et son français irréprochable.

J'ai vu que l'on portait des manteaux et des écharpes sans trop en comprendre la raison. J'ai vu que le temps passait trop vite quelle que soit la saison. J'ai vu une mer d'huile et une montagne en neige. J'ai vu le papier peint orange et la table design en formica de la cuisine chez ma grand-mère ; des bougies toujours à portée de main chez mon oncle et ma tante. J'ai vu mes neveux en espérant qu'ils ne m'oublient pas entre deux séjours.

J'ai vu un graffiti sur les berges du fleuve de la ville le jour de mon départ: Byerouth.

En partant de Roissy-CDG, dans le taxi me ramenant dans mon quartier de Paname, j'ai vu le cèdre bicentenaire adossé aux rails du RER B.


Et tout m'est revenu en vrac.

samedi 12 novembre 2011

Hors-saison

Sur le vieux continent, nous nous enfonçons dans l'automne. Les journées se refroidissent de jour en jour, les rues sont moins animées au gré de la couleur du ciel au dessus de la ville, et nous avons tous - amis, familles et inconnus - ressortis manteaux et écharpes aux couleurs sombres.


Je suis impatient et heureux de me rendre à Beyrouth dans quelques jours pour le mariage d'un couple d'amis proches. Je m'y rends donc "hors-saison"; de plus en plus. Cette expression est devenue presque courante au Liban ou au sein de la diaspora, traduisant une exception à la règle selon laquelle les Libanais doivent se déplacer en troupeau au même endroit, au même moment. J'aime les exceptions.


Cela fait maintenant plus de dix ans que Paris m'a adopté. Mais à chacun de mes déplacements, au Liban ou ailleurs, professionnels ou personnels, quels que soient la saison, l'heure ou le taxi qui m'emmène à Roissy-Charles de Gaulle, nous passerons devant un Cèdre du Liban presque bicentenaire, coincé entre l'autoroute A1 et les rails de la ligne B du RER. Comme un rappel.


Je me rends donc au Liban et j'appréhende. Comme à chaque fois. Serai-je en décalage? Rassuré de voir ce(ux) qui reste(nt) ou attristé par ce qui arrive ou pourrait arriver? Indigné ou résigné?


Je resterai quatre jours seulement. C'est trop court, mais suffisant pour prévoir une longue promenade, et voir.


A mon retour, dans le taxi qui me ramènera chez moi, je me demanderai encore, à l'instant où nous passerons devant le Cèdre, "Qu'as-tu vu?".

lundi 31 octobre 2011

Digression - I

Moi: "Sans foi, ni loi."
Elle: "Trop de foi, pas assez de lois."
Lui: "Trop de foi tue la loi."

samedi 22 octobre 2011

Mascotte

Je ne lis plus les journaux libanais.


Perte de temps. Enervement assuré. Subjectivité. Médiocrité.
Un jour au travail, lassé de mes lectures professionnelles inintéressantes, je m'accordais une pause de quelques minutes sur la toile.


Hormis grâce à mes appels téléphoniques passés à mes parents ou mon frère, je ne m'informais guère plus de la situation au pays. Aussi, décidais-je de consulter le site de L'Orient-Le Jour, sa section Vidéo.

J'en choisissais une qui soit suffisamment courte pour ne pas être interrompu (comprendre attrapé) par ma chef. Scène de la vie quotidienne à Beyrouth: un geyser à Achrafieh.

"Mais...mais... c'est ma rue!?"

Le reportage montrait qu'un tuyau aurait explosé et laissait fuir des trombes d'eau, inondant les balcons aux alentours, aspergeant voitures et passants depuis plusieurs jours déjà sans que la municipalité n'intervienne.

Consternant? Plus vraiment. Plutôt amusant.

Je cherchais mais ne trouvais pas mes parents dans ce reportage. J'imagine déjà Pap parler de ce problème à son ami, le moukhtar du quartier. J'apercevais le pompiste égyptien qui m'accueille avec un grand sourire à chacune de mes visites. L'enseigne de la pâtisserie Mascotte est toujours au-dessus d'un rideau de fer abaissé, signe que le commerce aurait finalement mis la clef sous la porte. Le vendeur de fruits et légumes est plus bas dans la rue mais semble protèger ses produits. Il a l'air de faire beau. On entend toujours autant les klaxons.

J'envoyais un message à ma mère: "Chou? Il parait que ce sont les chutes du Niagara rue Saint-Louis?".

J'étais content de revoir ma rue et mon quartier, malgré tous les désagréments causés par ce dégât aux habitants du quartier et que je déplorais bien entendu.

"Lorsque Bamako se donne des airs de Paris" pensais-je en consultant le prix du voyage pour Beyrouth, avant de me remettre au travail...

lundi 31 mai 2010

Les 7 erreurs


Epilogue II







Meshwar

Je suis enfin de retour à Beyrouth, ce qui n’est pas étranger à mon inspiration du moment. Même si mon absence n’a pas été longue, je veux me réapproprier ma ville en ce délicieux mois de Mai.

Mai est mon mois préféré au Liban.

Je chausse mes Convers pour aller explorer des rues et des impasses devant lesquelles je suis toujours passé sans parfois m’y aventurer. J’essuie mes lunettes, éteins ma cigarette et tends l’oreille.

C’est un peu la saison des tapis, en ce mois de Mai. Ils sont accrochés sur les balcons et attendent d’être tapés à l’aide d’une typique raquette en osier. « Dans le temps », la municipalité n’autorisait de les taper qu’entre huit heures du matin et Midi. En effet, avant huit heures les habitants dormaient encore, et à Midi les écoliers étaient de retour et leurs parents faisaient la sieste.

Il existe encore quelques jardins dans Beyrouth, tel le Jardin des Jésuites, où les enfants revenus des écoles peuvent se défouler et jouer dans le sable, plus souvent surveillés par des gouvernantes Sri-lankaises que par leurs mamans. La circulation automobile autour du jardin se fait plus calme, loin des klaxons et sirènes de l’avenue Charles Malek.

Toutefois, il n’est pas improbable au hasard des ruelles de découvrir des jardins privés où cyprès et bougainvilliers résistent encore au béton. Plantes et fleurs s’invitent chez les voisins, grimpant les murs décrépis et parfumant l’air d’une odeur de jasmin.

Je me hasarde dans une de ces ruelles où une résidente d’un certain âge assise au balcon de son étage donne sa liste de courses à un marchand de légumes itinérant. Il transporte sa marchandise dans une mythique Hippie-van Volkswagen. Elle cuisinera sans doute une loubieh-bil-zeyt[1] à déjeuner.

La ruelle est très certainement « à caractère traditionnel », mais aucun écriteau ne l’indique. Les maisons de couleur jaune ocre ou blanche se succèdent, entre bougainvilliers et jasmins. Celles-ci datent de l’époque du Mandat, celles-là datent plutôt de l’Indépendance. Elles sont tantôt habitées, tantôt abandonnées au regard des vitres brisées et des lourdes chaines cadenassant les portes de fer forgé. J’espère que leurs persiennes se rouvriront un jour.

Je reste absorbé devant la porte de l’une d’elle. Quand leurs propriétaires sont-ils partis ? Que sont-ils devenus ? Dans quel pays, ou sur quel continent ont-ils refait leur vie s’ils sont encore de ce monde ?

Quand une odeur de café m’arrache à mes pensées… « Tfaddal !»[2]. Une dame m’invite à boire un café avec elle. Je la remercie poliment et poursuit mon chemin au bout duquel un escalier étroit me ramène vers une rue plus animée.

Ferns et pâtisseries dégagent des odeurs de thym, de pains frais et de gâteaux gigantesques. Je reconnais le trictrac des dés roulant sur un tablier de bois, autour desquelles joueurs et commerçants spectateurs du quartier discutent des dernières élections locales. Certains n’ont pas encore réussi à se débarrasser de l’encre violette marquent leur pouce, signe du devoir communautaro-républicain accompli.

Du haut des escaliers Geara, je contemple une partie de la ville ainsi que son port. En descendant ces Daraj[3], je m’attarde devant un chantier et observe le mouvement des pelleteuses mécaniques venant froidement à bout de ce qui était une demeure à trois arcades. Une vieille habitante de Geitawi les remonte et, arrivée à mon niveau, m’interpelle :

اولك بهدوا هل بناية؟[4]

. انشالله لا بس اكيد بهدوها شي يوم[5]

L’habitante m’explique qu’un investisseur golfiote aurait racheté ce terrain par le biais d’un acheteur écran libanais. Vérité ou rumeur ? Je boue de l’intérieur.

« C’est le cas des trois-quarts d’Achrafieh ! شو فينا نعمل [6] ! Les gens s’appauvrissent… ils n’ont d’autre choix que de vendre… » me dit-elle.

Mes préoccupations de bourgeois ‘Frenchy coucou’ ne sont effectivement pas celles du Beyrouthin ordinaire, lequel n’a plus les moyens de se soigner, d’éduquer ou parfois nourrir ses enfants et qui vit dans un palais qu’il ne peut plus entretenir.

« Il faudra bruler un jour ses politiciens ! » me dit l’habitante au pouce violet pour conclure notre bref échange. Sans doute. J’allumerais volontiers le premier la mèche.

Je finis par m’éloigner du chantier et me demandant comment cette pelleteuse avait-elle pu y accéder.

Les escaliers me mènent à la rue du Fleuve, prolongement de la rue Gouraud de Gemmayzeh.

Les commerçants et artisans du quartier s’affairent : ébénistes travaillant le bois, couturiers rapiéçant de vieux vêtements, merceries vendant des boutons, maraîchers soignant leurs étalages, coiffeurs rasant les papis du quartier, quincaillers vendant je ne sais quoi. Ils prennent une pause à l’ombre d’un ficus ou d’un murier. Une grande ardoise adossée contre un mur sur laquelle une écriture d’enfant a décliné au masculin, féminin et pluriel des noms d’animaux me laisse penser que la francophonie n’est pas encore morte au Liban.

Je veux retrouver la Brasserie du Levant qui appartenait au Grand-père de mon ami d’enfance. Elle doit être prochainement démolie. L’immeuble date des années 30, en face duquel je découvre qu’une loge maçonnique a élu domicile. Il y a quelques entrepôts et usines désaffectés aux alentours, signes d’une prospérité passée, livrés aux chats du quartier. Je me rêve en maire rachetant ces bâtisses afin de les transformer en théâtres, bibliothèques, musées ou cinémas…

La gare ferroviaire, proche du lieu d’inhumation de mes grands-parents paternels, est à quelques pas mais le gardien des lieux ne me laissera pas la visiter sans autorisation d’une sorte de… chef de gare ! Je distingue toutefois la cheminée de la locomotive entre les platanes du jardin de la gare.

Il n’est pas vrai qu’une promenade à Beyrouth soit une épreuve physique, les trottoirs inexistants n’ont jamais empêché de marcher. Il ne faut pas avoir peur d’affronter les émotions d’une promenade dans les rues, les escaliers et les impasses de Beyrouth. On y est pris d’un sentiment inexplicable de nostalgie pour un passé parfois méconnu.

Chaque chantier dans Beyrouth, chaque putain de tour d’ivoire qui se construit est une nouvelle blessure qu’on inflige à la ville et à ses habitants. Les gros entrepreneurs sont devenus nos nouveaux snipers. Une tristesse m’envahit lorsque, planté comme un idiot devant une maison en ruine que l’on achève, je crois être le seul témoin de l’absurde. Avoir le sentiment d’être le seul à s’insurger.

On dit que Beyrouth est mille fois morte, mille fois revécue.

Mais jusqu'à quand Beyrouth restera-t-elle Beyrouth?




[1] Plat de haricots cuisinés à l’huile

[2] Bienvenue

[3] Escaliers

[4] A ton avis, vont-ils démolir cet immeuble?

[5] Je ne l’espère pas, mais il est certain qu’ils le feront un jour

[6] Que pouvons-nous faire ?

lundi 10 mai 2010

Nos agates

- Je peux être les Américains cette fois? demande-je à mon grand frère.

- Non ! Lorsqu’on joue ensemble, je prends les Américains, et toi les Allemands.

- Pfff… d’accord, mais j’aurai droit à plus de billes alors. Ma requête reste sans réponse.

Débordante imagination chaque vendredi matin : les billes servaient à imiter obus et bombes. Après ne pas nous être mis d’accord, nous déversâmes le contenu de trois grandes boîtes de plastic sur la moquette bleue de notre chambre et commencions à faire le tri parmi soldats allemands de couleur grise et soldats américains de couleur verte. Parfois, j’espérai que notre moquette soit verte, afin de représenter au mieux les campagnes d’Europe, ou jaune afin d’imiter les contrées désertiques d’Afrique du Nord… mais cela n’aurait pas été du goût de ma mère.

Les couvertures assez épaisses de nos lits servaient à faire des montagnes et autres grottes où des soldats de la Wehrmacht tendraient un piège aux Marines de mon frère ayant débarqués en Normandie. Nos tables de nuit servaient de bunker et nos bandes dessinées de tentes. Ma tactique nulle était inspirée du cinéma de guerre américain dont mon père était friand, Anzio, Dirty Dozen ou Les Canons de Navarone.

Nos chars et fantassins avaient des tailles disproportionnées. Nous préparions avec beaucoup de soin nos camps respectifs, voués à être « billés » par notre lot d’agates.

La partie commence. J’ai l’impression, comme a chaque fois, que mon frère a deux fois plus de billes que moi et d'être foudroyé par une force mécanique supérieure... Mes soldats tombent un à un et je commence à m’énerver. Chacune de nos parties se solderait de toute façon par une dispute à propos duquel de l’un ou de l’autre l’avait remporté, celui ayant perdu la partie devant ranger la chambre… ou le plus jeune, ce qui n’était pas prêt de changer.

Je me consolais en pensant que finalement les gentils de l'epoque avaient gagné et que le nouvel ordre qui s’installerait sur notre chambre ouvrirait une période de paix et de prospérité… jusqu'à la prochaine partie de ce genre.

dimanche 13 décembre 2009

(re) venir

Je ne suis jamais parti du Liban. Je n'ai jamais pu le quitter car je n'y ai jamais vécu.
Il serait donc illogique de parler de retour; et pourtant, ce terme est tellement ancré dans notre vocabulaire.
"Alors? Quand reviendras-tu ?"
Cette question est la plus difficile que l'on ne m'ait jamais posée. Pire qu'un sujet à la con de philo. Elle m'est posée chaque année. Plusieurs fois. Chaque Noël et chaque été. Que cela soit sur un balcon d'Achrafieh à griller des clopes avec mon frère; ou en voiture à Paris avec un ami.
Putain... s'il vous plait... arrêtez de me la poser.
Je vis une sorte de schizophrénie constante et géographique. Je ne sais parfois plus si j'aime ce pays pour ce qu'il a été ou pour ce qu'il pourrait encore demeurer ou devenir. Pour des souvenirs et des odeurs. Ou des couleurs. Un Beyrouth 70's ou 80's qui dura jusqu'aux années 2000.
Je voudrais y vivre au moins quatre saisons. Pour voir.
Je souhaite secrètement qu'il me ressemble un petit peu...
Mais chuut... il ne faut pas le dire.

Nous ne sommes plus derniers




dimanche 1 novembre 2009

mercredi 21 octobre 2009

Chronique de guerre

17 Janvier 1991.

Je me réveille à l’aube dans la chambre d’un hôtel du 9eme arrondissement de Paris.

Dehors, il fait froid et Paris peine à s’éveiller. Ma Mère, une droguée des nouvelles, a décidé de me faire découvrir CNN, une chaine américaine d’information en continue dès le réveil. Encore méconnue du grand public, cette chaine sera la révélation de cette guerre des temps modernes.

A l’écran, les « journalistes – héros » de CNN filment le ciel de Bagdad à l’aide d’une camera infrarouge. Bagdad a bizarrement un ciel tout vert. Des balles de la DCA Irakienne laissent des traces dans le ciel tandis que des déflagrations l’illuminent. Les furtifs de l’U.S. Air Force sont entrés en action.

Pause. Rewind.

Deux semaines auparavant, les chancelleries occidentales avaient décidé d’évacuer leurs ressortissants des pays du Golfe. Les familles ont le choix entre partir ou rester. Quoi qu’il arrive, la priorité est aux femmes et aux enfants. Les Palestiniens n’ont en revanche pas le choix et payeront le prix du soutien d’Arafat à Saddam qui balance des scuds sur Israël. Ils seront expulsés manu badaoui par les autorités locales faisant fi de l’hypocrite solidarité Arabe.

Nous ferons partie de la dernière vague des rapatriés aux frais de la République et de la princesse, laissant mon Père derrière. Avant notre départ, nous avons orné toutes les vitres et fenêtres de la maison de ruban adhésif… l’arme secrète mise à disposition par le bouiboui du coin pour se protéger contre d’éventuelles attaques chimiques. Des caisses de bouteilles d’eau ainsi que de nombreuses conserves ont été stockées dans une des pièces de l’appartement.

Mon école se vide un peu plus tous les jours de ses élèves. Ma Mère est venue me chercher en plein milieu du cours de mon instituteur de C.M.1. Je crois que j’ai pleuré.

Pendant ce temps, les G.I.s prenaient possession des hôtels de la ville. C’est le calme avant Desert Storm… le nouveau nom originalement débile de l’opération militaire dont seuls les Américains ont le secret. Ils sont en vacances, draguent les jeunes collégiennes qui se baignent le week-end à la plage et cherchent à échanger leurs rations dégueulasses avec celles des paras français.

Je ne comprenais pas pourquoi on partait. En réalité, tout allait bien.

Changement de décor et de température. La France est prise de panique et ses supermarchés pris d’assaut comme si les Irakiens avaient contourné la ligne Maginot. Putain… si nous avions su, nous serions restés là-bas !

Je suis inscrit au Lycée Molière « par précaution » dans le cas où le conflit s’éterniserait et le Moyen-Orient serait atomisé.

Nous avons séjourné deux semaines à Paris. Deux semaines passées à regarder CNN, TF1, Antenne 2, FR3 et les Inconnus, à visiter quelques musées et au téléphone avec mon Père.

A notre retour, nous nous aperçûmes que nous avions un peu exagéré sur le stock d’eau et sur le ruban adhésif. Les vitres et les fenêtres en portent encore des traces collantes.
Disons que c’est comme un réflexe…

La guerre nous poursuit encore. Toutefois, nous ne nous demandons plus à quand la fin, mais plutôt à quand la prochaine.