Quitter.
Nouvelles Levantines
Le Blog d'un Levantin qui a besoin d'écrire.
dimanche 15 novembre 2020
Quitter
jeudi 6 août 2020
4 Août
Les mots me manquaient. Les phrases me manquaient pour parvenir à décrire cette immense tristesse qui me serre le ventre et me rougit les yeux. Je ne parvenais pas à canaliser ce flot de pensées.
jeudi 25 juin 2020
Pour quoi?
Liban.
jeudi 10 mai 2018
Pénélopes
lundi 18 janvier 2016
Indigestion
dimanche 6 décembre 2015
A la classe politique française
samedi 12 octobre 2013
In the mood for war
Je raconte à qui veut l'entendre que je suis optimiste. Et pourtant.
Et pourtant, il y a quelques mois, je marchais dans la réserve des Cèdres. Les chasseurs Syriens la survolait, comme un mauvais présage. La veille, deux avions Israeliens volaient très haut dans le ciel de Beyrouth.
A Tripoli, une armée de casques bleus a peur de s'interposer entre des belligérants à la mémoire courte, comme si la grande muette était encore la seule à se souvenir.
A Saida, un barbu sorti de nulle part avait arrangué des foules et veut en découdre avec son alter ego. D'autres barbus font de la résistance hors de nos frontières pour défendre un dictateur zozotant.
Des centaines de milliers de réfugiés Syriens s'ajoutent aux centaines de milliers de réfugiés Palestiniens parkés dans des camps depuis décennies. Et l'hiver approchant n'arrangera rien de plus.
Les députés restent à la hauteur de leur ridicule réputation. Les zaïms excèlent dans le clientélisme et la médiocrité.
Le patrimoine disparait. La société se délite. Le fric, le fric, le fric. Les communautarismes sont exacerbés.
Dis-moi ce que tu as, je te dirai qui tu es.
A l'aéroport, des jeunes partent. Dégoutés. Un aller-simple à la main. Peu souhaitent revenir.
Plus que jamais, le pays est amnésique. La toxique absurdité est généralisée, dans les propos, les projets politiques, les comportements sociaux.
Plus que jamais, un bus pourrait en cacher un autre.
Cela est peut-être facile de l'exprimer dans son confort parisien où les difficultés quotidiennes paraissent n'être que broutilles à côté des difficultés locales et régionales. De dire aux autres de rester et de ne pas repartir soi-même.
Et pourtant il y a toujours de l'espoir, inexplicable. Une foi.
Une espérance.
samedi 20 octobre 2012
Habemus Bordelum
L’homme en blanc avance lentement mais sûrement. Plus rapidement en tous cas que son prédécesseur. Une haie d’honneur de la garde républicaine en costume d’apparat borde le tapis rouge dans le couloir menant à la salle des fêtes de Baabda.
Bénissez les sites Internet d’actualité libanaise autorisant les internautes dans des forums à déverser leur fiel et se livrer à des insultes par avatars interposés sans aucun contrôle.
lundi 20 février 2012
mercredi 15 février 2012
Marc de café
Je me préparais à faire ma tournée familiale. Un petit coup de téléphone afin de m’assurer que mes proches sont bien chez eux.
J’appelle ma tante :
- « Je peux passer ? »
- « Ahla w Sahla ! »
J’enfilais ma veste marron et sortait. Le trajet qui me sépare de la maison familiale paternelle est court mais rempli de souvenirs. Quelques minutes de marche me rappellent des années d’enfance. Elles me reviennent à chacun de mes pas me rapprochant de la vieille bâtisse jaune ocre. Je marche au milieu de la rue, les trottoirs étant trop étroits ou inexistants.
J’emprunte la rue de la Gare ; un nom de rue sans doute connu de personne, mais m’ayant toujours rappelé le pictogramme des trains sur les plateaux de jeu de société « Monopoly ». C’est sans doute pour cela que je m’en souviens encore en passant devant la plaque de rue bleue abîmée par le temps et les flammes.
Peu d’immeubles ont poussé dans ce quartier en raison d’un projet d’autoroute vieux de plus de cinquante ans qui tarde à se réaliser… Parfois, le rythme oriental est salutaire. Je croise marchands ambulants et vendeurs de fruits et légumes sur le chemin et autres artisans. Les cris d’enfants se font entendre depuis le Jardin de Jésuites tout proche, un des derniers poumons verts de la ville.
J’arrive au carrefour de l’Hôpital Orthodoxe. Des panneaux indiquent que le sens de la circulation des voitures aurait changé depuis quelques mois ; les automobilistes préfèrent cependant s’en tenir à leurs habitudes acquises depuis des années. Je m’engage dans la rue Asseily où quelques papis parlant arménien jouent au tric-trac sur les marches de leur paroisse du quartier.
Je suis déjà arrivé. Mon oncle et ma tante étaient sur le balcon et attendaient que j’apparaisse au coin de l’immeuble. D’autres voisins de la rue étroite semblent me reconnaître malgré les années, ma barbe et leurs cheveux grisonnants. Ils me sourient et me souhaitent la bienvenue tout en m’invitant à boire le café. Je les remercie ; une autre tasse de café m’attend sûrement déjà.
- « Smallah ! Tu as encore grandi, me disent mon oncle et ma tante en m’embrassant sous le portrait peint de mon arrière arrière-grand-père, dont mon père semble avoir perpétué la moustache.
Ici à part la télévision ou le climatiseur, rien ne semble avoir changé ou bougé depuis mon enfance : ni les meubles ou les tapis ; ni les ouvrages ou photographies ; ni le parfum du jasmin sur le balcon, ni la curiosité des voisins ; ni la pile de vieux numéros de la Revue du Liban dont le papier jauni relatait les actualités passées d’une guerre dont on ne veut plus se souvenir. Ambiance design rétro et pourtant ils ne sont pas bobos. Les plafonds sont toujours aussi hauts, le téléphone a toujours son cadran rotatif.
Et le café – turc ou libanais – est toujours à la cardamome.
Nous rattrapons un peu du temps.
- « Tu prends le café comment ? Sucré n’est-ce pas ? Comme toujours ! »
Ma tante s’éclipse au milieu d’une discussion politique et fait des allers-retours entre la cuisine et la salle de séjour aux plafonds hauts.
Elle apporte enfin les cafés. Je porte la petite tasse à mes lèvres. J’aime le son d’une tasse de café reposée sur sa coupelle. Et la discussion se poursuit autour de la situation locale ou régionale, comme d’habitude, des projets de vacances, de la situation en France, du travail ; tout en alternant libanais et français chantonnant, presque musical; tout en dégustant le café.
Dernière gorgée. Je retourne délicatement la tasse sur la soucoupe afin de laisser le marc de café s’y égoutter et imprimer des formes qui seront interprétées par ma tante. Elle s’assoit silencieusement à côté de moi pour en étudier les traces et leurs contours, laissées sur les bords et le fonds de la tasse, sur ses parois intérieures ou extérieures.
"فنجان حلو...سمالله...الطريق مفتوح وأبيض...في عصفور فوق راسك وولد صغير عام بيطفرج عليك..."
De son petit doigt, elle me les montre. Mon oncle se rapproche également. « Regarde, tu les vois ? »
Elle hoche de temps à autre la tête ou fronce des sourcils.
"في سفرة كبيره وطويلة... رايح شي محال؟ في حداً أو شي ناطرك... واحد أو أوحده عام بطلع عليك... زعلان من شي بس مش عارف من شو ... زعلان من شي؟"
Ma tante me rend de nouveau la tasse afin d’y laisser au fonds l’empreinte de mon pouce ou de mon index. Je laisse une belle trace blanche et ronde. Elle esquisse un sourire.
Je suce mon doigt emprunt du goût du café et de cardamome, les yeux clos.
Mon vœu sera peut-être exaucé.
Un vœu d’enfant.
dimanche 25 décembre 2011
mercredi 30 novembre 2011
Vu en vrac hors-saison
La vieille route de l'aéroport est toujours au milieu d'un Little Téhéran. Il y avait trop de voitures, de grues et de tours en construction; trop de drapeaux noirs et jaunes et des portraits d'hommes barbus sur des ponts à proximité du ring; plus assez de portraits de Samir Kassir sur les murs jaunes ocre de la ville. Le nouveau clocher en cours de construction de la cathédrale Saint-Georges veut rivaliser en hauteur avec le minaret de la mosquée voisine. Un vieil homme m'a tendu la main place Sassine pour l'aider à descendre quelques marches. Il ne m'a pas parlé, simplement regardé, tendu la main et nous nous étions compris.
En voyant la cour de récréation du Grand Lycée Franco-libanais, j'ai pensé que mes enfants pourraient y être scolarisés avec leurs cousins. Quel foutoir la sortie des écoles, mais quel sacré moment...
J'ai vu beaucoup de belles voitures, beaucoup d'épaves roulantes et de motocyclistes sans casques. Les feux de signalisation clignotent souvent à l'orange, les taxi-service ne sont plus forcément des vieilles Mercedes.
Beaucoup de femmes, les unes belles à la plastique naturelle, et les autres à la symétrie douteuse. Dans le lobby de l'Hôtel Phoenicia, des Golfiotes étaient accompagnés de prostitués. Peu de jeunes gens et beaucoup de personnes âgées. Au mariage auquel j'ai assisté, j'ai vu des femmes voilées et j'étais content de partager un repas avec elles. En rentrant ce cette fête, je remarquais qu'un nouveau parking avait remplacé une ancienne demeure de Tabaris. D'autres résistent encore, avec leurs persiennes vertes, bleues ou oranges.
Chaque matin, je remarquais que le nombre de pages de L'Orient-Le Jour diminuait; je ne vois plus la Revue du Liban dans les kiosques à journaux. J'en lisais toujours les blagues et les caricatures pas drôles de l'avant-dernière page. La énième tasse de Nescafé de Mam à moitié remplie refroidissait pour la énième fois. Pap est sur le balcon dans les nuages ou dans les nuages sur le balcon, je ne sais pas trop. Wardeh veut me faire petit-déjeûner, bruncher, déjeûner, souper et diner dès le réveil. Les téléviseurs sont constamment allumés, dans tous les foyers auxquels j'ai rendu visite.
Il y a toujours autant de Ferns à Achrafieh donnant ces goût et parfum de thym à la ville, mais le Fern Azar de la Rue Saint Louis a fermé boutique. Monsieur Azar, avec sa barbe grisonnante, ses images pieuses scotchées à sa caisse et son marcel, m'accueillait toujours avec un grand sourire et son français irréprochable.
J'ai vu que l'on portait des manteaux et des écharpes sans trop en comprendre la raison. J'ai vu que le temps passait trop vite quelle que soit la saison. J'ai vu une mer d'huile et une montagne en neige. J'ai vu le papier peint orange et la table design en formica de la cuisine chez ma grand-mère ; des bougies toujours à portée de main chez mon oncle et ma tante. J'ai vu mes neveux en espérant qu'ils ne m'oublient pas entre deux séjours.
J'ai vu un graffiti sur les berges du fleuve de la ville le jour de mon départ: Byerouth.
En partant de Roissy-CDG, dans le taxi me ramenant dans mon quartier de Paname, j'ai vu le cèdre bicentenaire adossé aux rails du RER B.
samedi 12 novembre 2011
Hors-saison
lundi 31 octobre 2011
Digression - I
Elle: "Trop de foi, pas assez de lois."
Lui: "Trop de foi tue la loi."
samedi 22 octobre 2011
Mascotte
Un jour au travail, lassé de mes lectures professionnelles inintéressantes, je m'accordais une pause de quelques minutes sur la toile.
Hormis grâce à mes appels téléphoniques passés à mes parents ou mon frère, je ne m'informais guère plus de la situation au pays. Aussi, décidais-je de consulter le site de L'Orient-Le Jour, sa section Vidéo.
J'en choisissais une qui soit suffisamment courte pour ne pas être interrompu (comprendre attrapé) par ma chef. Scène de la vie quotidienne à Beyrouth: un geyser à Achrafieh.
"Mais...mais... c'est ma rue!?"
Le reportage montrait qu'un tuyau aurait explosé et laissait fuir des trombes d'eau, inondant les balcons aux alentours, aspergeant voitures et passants depuis plusieurs jours déjà sans que la municipalité n'intervienne.
Consternant? Plus vraiment. Plutôt amusant.
Je cherchais mais ne trouvais pas mes parents dans ce reportage. J'imagine déjà Pap parler de ce problème à son ami, le moukhtar du quartier. J'apercevais le pompiste égyptien qui m'accueille avec un grand sourire à chacune de mes visites. L'enseigne de la pâtisserie Mascotte est toujours au-dessus d'un rideau de fer abaissé, signe que le commerce aurait finalement mis la clef sous la porte. Le vendeur de fruits et légumes est plus bas dans la rue mais semble protèger ses produits. Il a l'air de faire beau. On entend toujours autant les klaxons.
J'envoyais un message à ma mère: "Chou? Il parait que ce sont les chutes du Niagara rue Saint-Louis?".
J'étais content de revoir ma rue et mon quartier, malgré tous les désagréments causés par ce dégât aux habitants du quartier et que je déplorais bien entendu.
"Lorsque Bamako se donne des airs de Paris" pensais-je en consultant le prix du voyage pour Beyrouth, avant de me remettre au travail...
lundi 31 mai 2010
Meshwar
Je suis enfin de retour à Beyrouth, ce qui n’est pas étranger à mon inspiration du moment. Même si mon absence n’a pas été longue, je veux me réapproprier ma ville en ce délicieux mois de Mai.
Mai est mon mois préféré au Liban.
Je chausse mes Convers pour aller explorer des rues et des impasses devant lesquelles je suis toujours passé sans parfois m’y aventurer. J’essuie mes lunettes, éteins ma cigarette et tends l’oreille.
C’est un peu la saison des tapis, en ce mois de Mai. Ils sont accrochés sur les balcons et attendent d’être tapés à l’aide d’une typique raquette en osier. « Dans le temps », la municipalité n’autorisait de les taper qu’entre huit heures du matin et Midi. En effet, avant huit heures les habitants dormaient encore, et à Midi les écoliers étaient de retour et leurs parents faisaient la sieste.
Il existe encore quelques jardins dans Beyrouth, tel le Jardin des Jésuites, où les enfants revenus des écoles peuvent se défouler et jouer dans le sable, plus souvent surveillés par des gouvernantes Sri-lankaises que par leurs mamans. La circulation automobile autour du jardin se fait plus calme, loin des klaxons et sirènes de l’avenue Charles Malek.
Toutefois, il n’est pas improbable au hasard des ruelles de découvrir des jardins privés où cyprès et bougainvilliers résistent encore au béton. Plantes et fleurs s’invitent chez les voisins, grimpant les murs décrépis et parfumant l’air d’une odeur de jasmin.
Je me hasarde dans une de ces ruelles où une résidente d’un certain âge assise au balcon de son étage donne sa liste de courses à un marchand de légumes itinérant. Il transporte sa marchandise dans une mythique Hippie-van Volkswagen. Elle cuisinera sans doute une loubieh-bil-zeyt[1] à déjeuner.
La ruelle est très certainement « à caractère traditionnel », mais aucun écriteau ne l’indique. Les maisons de couleur jaune ocre ou blanche se succèdent, entre bougainvilliers et jasmins. Celles-ci datent de l’époque du Mandat, celles-là datent plutôt de l’Indépendance. Elles sont tantôt habitées, tantôt abandonnées au regard des vitres brisées et des lourdes chaines cadenassant les portes de fer forgé. J’espère que leurs persiennes se rouvriront un jour.
Je reste absorbé devant la porte de l’une d’elle. Quand leurs propriétaires sont-ils partis ? Que sont-ils devenus ? Dans quel pays, ou sur quel continent ont-ils refait leur vie s’ils sont encore de ce monde ?
Quand une odeur de café m’arrache à mes pensées… « Tfaddal !»[2]. Une dame m’invite à boire un café avec elle. Je la remercie poliment et poursuit mon chemin au bout duquel un escalier étroit me ramène vers une rue plus animée.
Ferns et pâtisseries dégagent des odeurs de thym, de pains frais et de gâteaux gigantesques. Je reconnais le trictrac des dés roulant sur un tablier de bois, autour desquelles joueurs et commerçants spectateurs du quartier discutent des dernières élections locales. Certains n’ont pas encore réussi à se débarrasser de l’encre violette marquent leur pouce, signe du devoir communautaro-républicain accompli.
Du haut des escaliers Geara, je contemple une partie de la ville ainsi que son port. En descendant ces Daraj[3], je m’attarde devant un chantier et observe le mouvement des pelleteuses mécaniques venant froidement à bout de ce qui était une demeure à trois arcades. Une vieille habitante de Geitawi les remonte et, arrivée à mon niveau, m’interpelle :
اولك بهدوا هل بناية؟[4]
. انشالله لا بس اكيد بهدوها شي يوم[5]
L’habitante m’explique qu’un investisseur golfiote aurait racheté ce terrain par le biais d’un acheteur écran libanais. Vérité ou rumeur ? Je boue de l’intérieur.
« C’est le cas des trois-quarts d’Achrafieh ! شو فينا نعمل [6] ! Les gens s’appauvrissent… ils n’ont d’autre choix que de vendre… » me dit-elle.
Mes préoccupations de bourgeois ‘Frenchy coucou’ ne sont effectivement pas celles du Beyrouthin ordinaire, lequel n’a plus les moyens de se soigner, d’éduquer ou parfois nourrir ses enfants et qui vit dans un palais qu’il ne peut plus entretenir.
« Il faudra bruler un jour ses politiciens ! » me dit l’habitante au pouce violet pour conclure notre bref échange. Sans doute. J’allumerais volontiers le premier la mèche.
Je finis par m’éloigner du chantier et me demandant comment cette pelleteuse avait-elle pu y accéder.
Les escaliers me mènent à la rue du Fleuve, prolongement de la rue Gouraud de Gemmayzeh.
Les commerçants et artisans du quartier s’affairent : ébénistes travaillant le bois, couturiers rapiéçant de vieux vêtements, merceries vendant des boutons, maraîchers soignant leurs étalages, coiffeurs rasant les papis du quartier, quincaillers vendant je ne sais quoi. Ils prennent une pause à l’ombre d’un ficus ou d’un murier. Une grande ardoise adossée contre un mur sur laquelle une écriture d’enfant a décliné au masculin, féminin et pluriel des noms d’animaux me laisse penser que la francophonie n’est pas encore morte au Liban.
Je veux retrouver la Brasserie du Levant qui appartenait au Grand-père de mon ami d’enfance. Elle doit être prochainement démolie. L’immeuble date des années 30, en face duquel je découvre qu’une loge maçonnique a élu domicile. Il y a quelques entrepôts et usines désaffectés aux alentours, signes d’une prospérité passée, livrés aux chats du quartier. Je me rêve en maire rachetant ces bâtisses afin de les transformer en théâtres, bibliothèques, musées ou cinémas…
La gare ferroviaire, proche du lieu d’inhumation de mes grands-parents paternels, est à quelques pas mais le gardien des lieux ne me laissera pas la visiter sans autorisation d’une sorte de… chef de gare ! Je distingue toutefois la cheminée de la locomotive entre les platanes du jardin de la gare.
Il n’est pas vrai qu’une promenade à Beyrouth soit une épreuve physique, les trottoirs inexistants n’ont jamais empêché de marcher. Il ne faut pas avoir peur d’affronter les émotions d’une promenade dans les rues, les escaliers et les impasses de Beyrouth. On y est pris d’un sentiment inexplicable de nostalgie pour un passé parfois méconnu.
Chaque chantier dans Beyrouth, chaque putain de tour d’ivoire qui se construit est une nouvelle blessure qu’on inflige à la ville et à ses habitants. Les gros entrepreneurs sont devenus nos nouveaux snipers. Une tristesse m’envahit lorsque, planté comme un idiot devant une maison en ruine que l’on achève, je crois être le seul témoin de l’absurde. Avoir le sentiment d’être le seul à s’insurger.
On dit que Beyrouth est mille fois morte, mille fois revécue.
Mais jusqu'à quand Beyrouth restera-t-elle Beyrouth?
lundi 10 mai 2010
Nos agates
- Je peux être les Américains cette fois? demande-je à mon grand frère.
- Non ! Lorsqu’on joue ensemble, je prends les Américains, et toi les Allemands.
- Pfff… d’accord, mais j’aurai droit à plus de billes alors. Ma requête reste sans réponse.
Débordante imagination chaque vendredi matin : les billes servaient à imiter obus et bombes. Après ne pas nous être mis d’accord, nous déversâmes le contenu de trois grandes boîtes de plastic sur la moquette bleue de notre chambre et commencions à faire le tri parmi soldats allemands de couleur grise et soldats américains de couleur verte. Parfois, j’espérai que notre moquette soit verte, afin de représenter au mieux les campagnes d’Europe, ou jaune afin d’imiter les contrées désertiques d’Afrique du Nord… mais cela n’aurait pas été du goût de ma mère.
Les couvertures assez épaisses de nos lits servaient à faire des montagnes et autres grottes où des soldats de la Wehrmacht tendraient un piège aux Marines de mon frère ayant débarqués en Normandie. Nos tables de nuit servaient de bunker et nos bandes dessinées de tentes. Ma tactique nulle était inspirée du cinéma de guerre américain dont mon père était friand, Anzio, Dirty Dozen ou Les Canons de Navarone.
Nos chars et fantassins avaient des tailles disproportionnées. Nous préparions avec beaucoup de soin nos camps respectifs, voués à être « billés » par notre lot d’agates.
La partie commence. J’ai l’impression, comme a chaque fois, que mon frère a deux fois plus de billes que moi et d'être foudroyé par une force mécanique supérieure... Mes soldats tombent un à un et je commence à m’énerver. Chacune de nos parties se solderait de toute façon par une dispute à propos duquel de l’un ou de l’autre l’avait remporté, celui ayant perdu la partie devant ranger la chambre… ou le plus jeune, ce qui n’était pas prêt de changer.
Je me consolais en pensant que finalement les gentils de l'epoque avaient gagné et que le nouvel ordre qui s’installerait sur notre chambre ouvrirait une période de paix et de prospérité… jusqu'à la prochaine partie de ce genre.
dimanche 13 décembre 2009
(re) venir
dimanche 1 novembre 2009
Vue panoramique aérienne de Beyrouth - Bibliothèque numérique mondiale
mercredi 21 octobre 2009
Chronique de guerre
Je me réveille à l’aube dans la chambre d’un hôtel du 9eme arrondissement de Paris.
Dehors, il fait froid et Paris peine à s’éveiller. Ma Mère, une droguée des nouvelles, a décidé de me faire découvrir CNN, une chaine américaine d’information en continue dès le réveil. Encore méconnue du grand public, cette chaine sera la révélation de cette guerre des temps modernes.
A l’écran, les « journalistes – héros » de CNN filment le ciel de Bagdad à l’aide d’une camera infrarouge. Bagdad a bizarrement un ciel tout vert. Des balles de la DCA Irakienne laissent des traces dans le ciel tandis que des déflagrations l’illuminent. Les furtifs de l’U.S. Air Force sont entrés en action.
Pause. Rewind.
Deux semaines auparavant, les chancelleries occidentales avaient décidé d’évacuer leurs ressortissants des pays du Golfe. Les familles ont le choix entre partir ou rester. Quoi qu’il arrive, la priorité est aux femmes et aux enfants. Les Palestiniens n’ont en revanche pas le choix et payeront le prix du soutien d’Arafat à Saddam qui balance des scuds sur Israël. Ils seront expulsés manu badaoui par les autorités locales faisant fi de l’hypocrite solidarité Arabe.
Nous ferons partie de la dernière vague des rapatriés aux frais de la République et de la princesse, laissant mon Père derrière. Avant notre départ, nous avons orné toutes les vitres et fenêtres de la maison de ruban adhésif… l’arme secrète mise à disposition par le bouiboui du coin pour se protéger contre d’éventuelles attaques chimiques. Des caisses de bouteilles d’eau ainsi que de nombreuses conserves ont été stockées dans une des pièces de l’appartement.
Mon école se vide un peu plus tous les jours de ses élèves. Ma Mère est venue me chercher en plein milieu du cours de mon instituteur de C.M.1. Je crois que j’ai pleuré.
Pendant ce temps, les G.I.s prenaient possession des hôtels de la ville. C’est le calme avant Desert Storm… le nouveau nom originalement débile de l’opération militaire dont seuls les Américains ont le secret. Ils sont en vacances, draguent les jeunes collégiennes qui se baignent le week-end à la plage et cherchent à échanger leurs rations dégueulasses avec celles des paras français.
Je ne comprenais pas pourquoi on partait. En réalité, tout allait bien.
Changement de décor et de température. La France est prise de panique et ses supermarchés pris d’assaut comme si les Irakiens avaient contourné la ligne Maginot. Putain… si nous avions su, nous serions restés là-bas !
Je suis inscrit au Lycée Molière « par précaution » dans le cas où le conflit s’éterniserait et le Moyen-Orient serait atomisé.
Nous avons séjourné deux semaines à Paris. Deux semaines passées à regarder CNN, TF1, Antenne 2, FR3 et les Inconnus, à visiter quelques musées et au téléphone avec mon Père.
A notre retour, nous nous aperçûmes que nous avions un peu exagéré sur le stock d’eau et sur le ruban adhésif. Les vitres et les fenêtres en portent encore des traces collantes.
La guerre nous poursuit encore. Toutefois, nous ne nous demandons plus à quand la fin, mais plutôt à quand la prochaine.