dimanche 13 décembre 2009

(re) venir

Je ne suis jamais parti du Liban. Je n'ai jamais pu le quitter car je n'y ai jamais vécu.
Il serait donc illogique de parler de retour; et pourtant, ce terme est tellement ancré dans notre vocabulaire.
"Alors? Quand reviendras-tu ?"
Cette question est la plus difficile que l'on ne m'ait jamais posée. Pire qu'un sujet à la con de philo. Elle m'est posée chaque année. Plusieurs fois. Chaque Noël et chaque été. Que cela soit sur un balcon d'Achrafieh à griller des clopes avec mon frère; ou en voiture à Paris avec un ami.
Putain... s'il vous plait... arrêtez de me la poser.
Je vis une sorte de schizophrénie constante et géographique. Je ne sais parfois plus si j'aime ce pays pour ce qu'il a été ou pour ce qu'il pourrait encore demeurer ou devenir. Pour des souvenirs et des odeurs. Ou des couleurs. Un Beyrouth 70's ou 80's qui dura jusqu'aux années 2000.
Je voudrais y vivre au moins quatre saisons. Pour voir.
Je souhaite secrètement qu'il me ressemble un petit peu...
Mais chuut... il ne faut pas le dire.

Nous ne sommes plus derniers




dimanche 1 novembre 2009

mercredi 21 octobre 2009

Chronique de guerre

17 Janvier 1991.

Je me réveille à l’aube dans la chambre d’un hôtel du 9eme arrondissement de Paris.

Dehors, il fait froid et Paris peine à s’éveiller. Ma Mère, une droguée des nouvelles, a décidé de me faire découvrir CNN, une chaine américaine d’information en continue dès le réveil. Encore méconnue du grand public, cette chaine sera la révélation de cette guerre des temps modernes.

A l’écran, les « journalistes – héros » de CNN filment le ciel de Bagdad à l’aide d’une camera infrarouge. Bagdad a bizarrement un ciel tout vert. Des balles de la DCA Irakienne laissent des traces dans le ciel tandis que des déflagrations l’illuminent. Les furtifs de l’U.S. Air Force sont entrés en action.

Pause. Rewind.

Deux semaines auparavant, les chancelleries occidentales avaient décidé d’évacuer leurs ressortissants des pays du Golfe. Les familles ont le choix entre partir ou rester. Quoi qu’il arrive, la priorité est aux femmes et aux enfants. Les Palestiniens n’ont en revanche pas le choix et payeront le prix du soutien d’Arafat à Saddam qui balance des scuds sur Israël. Ils seront expulsés manu badaoui par les autorités locales faisant fi de l’hypocrite solidarité Arabe.

Nous ferons partie de la dernière vague des rapatriés aux frais de la République et de la princesse, laissant mon Père derrière. Avant notre départ, nous avons orné toutes les vitres et fenêtres de la maison de ruban adhésif… l’arme secrète mise à disposition par le bouiboui du coin pour se protéger contre d’éventuelles attaques chimiques. Des caisses de bouteilles d’eau ainsi que de nombreuses conserves ont été stockées dans une des pièces de l’appartement.

Mon école se vide un peu plus tous les jours de ses élèves. Ma Mère est venue me chercher en plein milieu du cours de mon instituteur de C.M.1. Je crois que j’ai pleuré.

Pendant ce temps, les G.I.s prenaient possession des hôtels de la ville. C’est le calme avant Desert Storm… le nouveau nom originalement débile de l’opération militaire dont seuls les Américains ont le secret. Ils sont en vacances, draguent les jeunes collégiennes qui se baignent le week-end à la plage et cherchent à échanger leurs rations dégueulasses avec celles des paras français.

Je ne comprenais pas pourquoi on partait. En réalité, tout allait bien.

Changement de décor et de température. La France est prise de panique et ses supermarchés pris d’assaut comme si les Irakiens avaient contourné la ligne Maginot. Putain… si nous avions su, nous serions restés là-bas !

Je suis inscrit au Lycée Molière « par précaution » dans le cas où le conflit s’éterniserait et le Moyen-Orient serait atomisé.

Nous avons séjourné deux semaines à Paris. Deux semaines passées à regarder CNN, TF1, Antenne 2, FR3 et les Inconnus, à visiter quelques musées et au téléphone avec mon Père.

A notre retour, nous nous aperçûmes que nous avions un peu exagéré sur le stock d’eau et sur le ruban adhésif. Les vitres et les fenêtres en portent encore des traces collantes.
Disons que c’est comme un réflexe…

La guerre nous poursuit encore. Toutefois, nous ne nous demandons plus à quand la fin, mais plutôt à quand la prochaine.

vendredi 4 septembre 2009

Francis & Philip in Leb


Leur dernière mission a tourné au fiasco... Abou Olrik était redoutable.

mardi 26 mai 2009

vendredi 8 mai 2009

Déclinaisons


Samandal


Géniale initiative artistique dans le domaine de la BD.

Samandal est un recueil de bandes dessinées édité mensuellement à Beyrouth et en trois langues.

A lire et à faire lire.

Et pour les plus talentueux et les dessinateurs du dimanche, il est même possible d'y participer en envoyant ses dessins.

A bon entendeur, Samandal !

V

Eté 1992. Dimanche après-midi à Achrafié.

Nonna nous a encore préparé de délicieux mets dont elle a le secret.

Nous sommes tous réunis autour de la table et chacun est à sa place habituelle. Mon Père est à côté de Nonno qui est en tête de table. Moi à côté de ma mère. La chaise de Nonna est en revanche souvent vide pendant le repas tant elle se lève pour aller en cuisine.

Nonna me sert toujours deux cuillerées de plus si bien que je dois me forcer malgré le régal à terminer mon assiette. A la fin du repas et après les fruits, les hommes commencent à somnoler et à piquer du nez. L'arack y est certainement pour quelque chose pendant les discussions politiques dominées par les premières élections législatives depuis la fin de la guerre… et leur boycott.

Mon grand-père sort sa pipe et sa tabatière pleine de "bon tabac". Je l’observe d’abord la nettoyer à l’aide d’un cure-pipe puis la remplir à l’aide de ses beaux doigts blancs. Il le faisait les yeux fermés. Puis le salon ne tardait pas à s’imprégner de cette fumée à l’odeur si agréable presque vanillée. Aujourd’hui encore, cette odeur imprègne toutes les pièces de l’appartement de mes grands-parents.

Pap quant à lui s'endort sur le canapé du salon tandis que les dames en cuisine, jeunes et moins jeunes, font la vaisselle et se racontent leurs histoires de dames...

Pendant ce temps, moi, je commençais sérieusement à m’emmerder.

Les émissions télévisées dominicales libanaises étaient sans grand intérêt. La MTV retransmettait en direct quotidiennement à 14 heures le pseudo Journal Télévisé de Jean-Pierre Pernaut. La C33, chaîne soeur de la LBC totalement francophone n'existait déjà plus. Ayrton Senna triomphait encore sur les écrans de la LBC retransmettant le Grand Prix de Formule 1 du week-end. D'autres chaînes aujourd'hui disparues repassaient en boucle des émissions de télé-achat.

Je m’ennuyais. Dehors des sirènes de voitures perturbaient de temps à autre le calme beyrouthin.

Et puis soudain, un concert de klaxon se rapprocha. Un mariage me dis-je ; comme tous les dimanches.

J’accours néanmoins vers le balcon.

Le convoi se rapproche toujours aussi bruyant mais je ne le vois pas encore. Il doit être au niveau du mythique Hôtel Alexandre.

Les voisins des immeubles alentours sont également sur leur balcon et attendent également qu’apparaisse au tournant le convoi.

Ma grand-mère me rejoint sur le balcon lorsque apparaît enfin l’objet de notre curiosité. Un long cortège d’une trentaine de voitures roule doucement. De jeunes étudiants sont sur leurs capots et à leurs fenêtres brandissant notre drapeau. Ils sont jeunes et beaux. Celui en tête du cortège brandit le portrait d’un militaire en tenue de combat qui s’opposât à l’occupant.

Il me voit, me fixe et me fait signe. Je lui réponds en faisant un « V » distinctif avec un petit sourire de fierté et d’innocence.

Mon premier geste résistant. A ce moment précis, je sentis comme une montée d'adrénaline et une nervosité agréable s'emparant de tous mes membres. Sans le savoir, je vais épouser longtemps un courant et une cause, même si mon geste demeurre insignifiant face aux actions menées par ces résistants et ayant entraîné des répressions physiques et morales.

Ma grand-mère qui se trouva sur le balcon me prit dans ses bras comme pour me protéger ou empêcher que l’on ne voie mon geste.

« Attention ! Et si on te voyait ! C’est dangereux de faire ça »

Je ne voyais pas en quoi un geste de rien du tout fait par un petit feuss[1] comme moi puisse m’attirer des ennuis.

Lorsque le convoi finit de remonter la rue, il fut stoppé par une patrouille de l’armée. Il ne fallait plus trop rester sur le balcon à cet instant.

Peut-être ont-ils simplement été arrêtés puis relâchés. Ou non.

Ces jeunes militants défilaient pour protester contre la tenue d’élections alors que le pays était occupé. Le mot d’ordre dans le camp chrétien était le boycott de ces élections. Il était inconcevable de voter à l’ombre des baïonnettes pour des collabos.

La posture de ces militants était brave, courageuse, presque romantique. Leur slogan est devenu celui du Liban.

Ils n’avaient pas peur. Celui-ci reviendra. Celui-ci sortira. La victoire serait au bout du tunnel.

Je ne pense pas m'être trompé.
Aujourd’hui, je me demande simplement de quelle victoire parlaient-ils ?




[1] Un petit pet, un petit gamin

mardi 28 avril 2009

Le Nouveau Monde

Je suis arrivé dans le Nouveau Monde il y a quelques mois et celui-ci ne m’inspire guère.

D’où certainement le silence de ce blog depuis quelques longues semaines.

Le Nouveau Monde ne crée rien. Il reprend et recrache.

Il vend du rêve de mauvais goût, des immeubles de mauvaise finition et des îles artificielles éphémères aux formes peu originales.

A l’aube, des bus blancs de marque Tata déposent les travailleurs Indiens et Pakistanais sur leur lieu de travail et oeuvrent pour la grandeur du dieu Emaar dont les drapeaux flottent sur toutes les artères de la ville.

Malgré l’existence de plus de 200 nationalités sur son sol, les étrangers ne se parlent pas, les cultures ne dialoguent pas et la société n’existe pas.

Aujourd’hui le Nouveau Monde a atteint son apogée. Ses détracteurs jadis envieux se frottent les mains et se réjouissent de sa chute brutale et inattendue.

« De toute façon, cette place et ce rayonnement ne lui revenait pas ; c’est nous qui devions être à sa place… »

C’est bon. La relève est assurée. Des idiots en dehors de ses frontières sont donc prêts à reprendre le flambeau.

Ouf. J’ai hâte de voir un cèdre au large de Damour.

lundi 9 mars 2009

Baabda

Lorsque je suis de retour chez mes parents, je ne peux m'empêcher de farfouiller dans la bibliothèque ou dans les armoires poussiérieuses du débarras.


Ma dernière redécouverte fut une de ces vieilles cassettes "du siècle dernier". Une simple étiquette, portant l'écriture de ma Mère, mentionnait "Baabda".


J'en connaissais parfaitement le contenu pour l'avoir visionnée des dizaines de fois.


C'était une de ces cassettes que les Libanais se passaient "sous le manteau", d'une qualité médiocre car maintes fois enregistrées et réenregistrées.


Les clips musicaux et chansons patriotiques d'artistes libanais abusant du synthé en vogue dans les années 80 se suivent et se ressemblent. Ils sont à la gloire de l'Armée Libanaise et d'un seul homme.


On y trouve des reportages sur la jeunesse militante, pleine d'espoir et avide de paix; sur un rassemblement où les Libanais venus en famille camperont des semaines à portée de canons étrangers pointés sur la "colline de la liberté".


On y voit des parlementaires Français et Européens venus exprimer leur solidarité. Poètes, journalistes, avocats, médecins ou religieux se bousculent à la tribune pour haranguer la foule résistante.


La suite, nous la connaissons.


L'épilogue de cette aventure se joue peut-être aujourd'hui.


Mon Père observe mon manège en m'interpelle:


"Tu comptes descendre voter pour les législatives?"


A quoi bon me dis-je.


"Ce sont les élections de la dernière chance!"


Nous aimons beaucoup cet épithète au Liban. Dernière chance. Dernière guerre. Dernier rampart. Dernier homme. Dernier président. Dernières élections.


En 2005, je ne le savais pas encore, mais c'était la dernière fois que je visionnais "Baabda".

dimanche 25 janvier 2009

Achtung!

Ceci n'est pas un blog politique.

On n'a jamais parlé de politique au Liban.

On parle seulement de pouvoir.

samedi 24 janvier 2009

Le Beyrouth de Pap

Chaque fois que je reviens chez mes parents apres une longue absence, je prends au hasard un des livres dans la bibliotheque du salon; en realité, il s'agit très souvent du même: "Le Beyrouth des Années 30".

Un recueil de photographies en noir et blanc du Beyrouth d'antan. Beyrouth y apparait comme une ville-jardin, calme et sereinement orientale. Il y a comme un peu de Paris et de Byzance dans les couleurs, les personnes et les vêtements.

Je m'amuse à tourner et retourner les pages; je m'attarde sur certaines photographies et y scrute les moindres détails: un bonhomme en tarbouche que je n'avais jamais remarqué auparavant page 22, un policier qui semble regarder l'objectif du photographe rue Foch page 31, un homme appuyé sur la "drabzine"d'un balcon page 69...

Pour moi chaque page est un voyage à travers le temps, et pour mon pere un souvenir.

Il nous servit un verre d'arack, s'assit a cote de moi et mit ces petites lunettes.

"Kess Ekhta... comme c'est dommage... regarde comme la Montagne était verte. Il n'y avait rien...

"La banque était ici, tu tournais à gauche en descendant la rue Allenby... en arrivant de la place de l'Etoile...

"Tu vois ce modeste dekkène a cote de la Baladié, c'etait le premier Marroush... il a commence dans cette toute petite échoppe avant de réussir. J'y avais emmené ta Mère lorsque nous étions jeunes fiancés...

"Tu reconnais? C'est l'Eglise des Capucins... je te ressers un arack?" - " Biensur Pap!"

"Yih.. l'Université Americaine! Il y avait un vendeur de jeans Levi's la-bas, rue Bliss... Hassouni Sport, il s'appelait... ils coutaient 20 Livres Libanaises à l'époque... c'etait le seul en ville...

"Tu vois ce restaurant en bord de mer, j'y étais allé avec Nadim et Alexandre... il y avait une boîte de nuit, style cabaret et s'appelait Kit-Kat... comme le chocolat! L'entrée était à 6 Livres Libanaises... c'etait bien avant la guerre...

"Ce restaurant-là aussi... le mezzé avec 21 plats était à 7 Livres Libanaises... chou ken tayyeb!"

"Ah! Si tu prends cette Tal3a à droite pour aller aux Caves du Roy... nos meilleures soirées avec ta Mère!

"Chou heide? Je ne reconnais pas... Ya3né, on aurait pu faire un effort pour mieux préserver... mais bon, la guerre est aussi passée par là...

"Tu vois, tout ça... c'était la France...

"Tu vois comme il a changé le Saint-Georges... tout ca, ca n'existe plus... et puis ils ont gagné sur la mer... tu continues par là sur l'Avenue des Francais...

"Cela doit être le port militaire... tu vois Achrafieh derrière...

"Regarde la Montagne... lorsque je revenais de voyage et qu'on déjeunait chez Téta, je m'asseyais à la table à manger face à la fenêtre de sorte à pouvoir regarder la Montagne... ma vue n'avait pas de limite... la Montagne était comme dans cette photo...

"Et je me sentais alors de retour au pays et à la maison".

mardi 20 janvier 2009

"Pourquoi n'avons nous pas eu une vie normale ?"

Je repartais... une fois de plus.

Je suis l'émigré qui repart, qui parle mal Libanais et qui vient de "dehors".

Je parle presque Libanais avec un accent de tapette mais finalement je m'en tape.

Mes phrases sont parfois toutes faites, elles sont un mauvais dosage de français, d'arabe et d'anglais, si bien qu'on me dit que je parle comme un Arménien.

La première fois qu'on m'a dit cela, c'était pour acheter deux bouteilles d'eau chez un épicier en bas du bloc A de Tababababarja Beach.

"Marhaba, bendé tneine anninét may..." ; il ne m'avait pas raté ce con.

Si le Liban avait eu un autre destin, nos vies auraient été sans doute différentes et je parlerais couramment arabe.

"Pourquoi n'avons nous pas eu une vie normale?" m'a dit un jour la mère de mon meilleur ami...

C'est vrai. Pourquoi ?